Elisa Migda transfigure le portrait. Ses modèles semblent parfois vouloir échapper à l’espace délimité par le cadre afin d’amorcer soit l’histoire d’une figuration impossible, soit d’une présence où le personnage reste, finalement, piégé. Le portrait reste insaisissable. Les indices de réalité phénoménale se dissolvent dans certaines photographies. Et le choix du noir et blanc renvoie à un seuil d’émergence où le modèle est à la fois réel et irréel.
Ce n’est plus une histoire qui est racontée, mais un jeu entre le personnage et la focale de l’appareil photographique. Même dans ses autoportraits, Elisa Migda refuse la séduction spéculaire au moment où paradoxalement le visage est cadré de près par le champ de l’objectif. L’image devient une manière de suggérer une attente ou un l’écho en progression vers une forme de présent dubitatif, de présent sans présent.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le jour, les rendez-vous.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont en moi, déployés et m’accompagnent.
À quoi avez-vous renoncé ?
À ne pas commettre d’erreurs.
D’où venez-vous ?
D’une rencontre.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Mes origines, des histoires, des traces…
Qu’avez vous dû «plaquer» pour votre travail ?
Des situations et cadres inadaptés.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Observer le monde, m’extraire un peu de moi-même et le jardin.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Tout et rien à la fois. Mon intimité, je pense.
Comment définiriez-vous votre approche du portrait ?
À l’origine, j’ai été formée en studio, ce qui m’a permis d’étudier, de travailler et de transformer la lumière à ma guise.
À présent, je fonctionne la plupart du temps de manière intuitive, presque principalement en noir et blanc. C’est une communication plus intérieure même si la couleur permet elle aussi ce langage… mais c’est encore autre chose et j’y pense de plus en plus…
J’aime les imperfections, les accidents et l’équivoque.
Je vois le portrait comme une vibration…une résonance, une ressemblance intime et j’ai cette volonté de donner sa respiration au visage et au corps.
Il est un surgissement… fait de silences, d’insinuations, d’abandon parfois, de projections intérieures, d’émotions indicibles et fugitives.
J’utilise souvent un de temps de pose relativement long car c’est l’intervalle qui m’intéresse. La sensualité est présente, jamais trop douce… quelques lumières incisives… je cède parfois la place à quelque chose d’inquiétant…
C’est un travail qui se transforme avec le temps et où finalement les photographies trouvent une résonance entre elles.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
« Le portrait d’une dame assise » de Jeanloup Sieff et les créations du collectif Hipgnosis.
Et votre première lecture ?
« Le dictionnaire des symboles » de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant.
Quelles musiques écoutez-vous ?
“L’Histoire de Melody Nelson”, Franz Liszt, Arvo Pärt, Alain Bashung, Frank Zappa, Ferré, les Pink Floyd, Oiseaux Tempête…tout est une question d’humeur mais j’ai aussi un extrême besoin de silence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Clair de femme » de Romain Gary ainsi que « Noces / L’été » d’Albert Camus.
Quel film vous fait pleurer ?
« Nostalghia » d’Andreï Tarkovski et j’ai beaucoup de tendresse pour « Les Nuits de Cabiria » de Fellini.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Des possibles, une ressemblance, moi… mais cela dépend de l’arrière-plan.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ai toujours osé écrire…
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Une maison d’enfance.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Ceux qui provoquent des choses en moi… :
Roberto Juarroz, Alix Cléo Roubaud, Ingeborg Bachmann, Rainer Maria Rilke, Frida Kahlo, Gustave Moreau, Charles Bukowski, Ingmar Bergman, Les Nabis, Anders Petersen, Odilon Redon, Francesca Woodman, Juergen Teller, Franz von Stuck, Guy Bourdin, Francisco de Goya, Jérôme Bosch, Francis Bacon, Camille Claudel, Kees Van Dongen, Diane Arbus, Lucian Freud, Sally Mann, Marc Chagall, Krzysztof Kieslowski, Henri Michaux, Jean Cocteau, Emil Cioran, Anton Tchekhov, Maurice Pialat, Terrence Malick, Richard Avedon..
La liste est longue, incomplète… j’ai des coups de cœur très éclectiques.
J’aime aussi la photographie vernaculaire et les récréations photographiques.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un fou rire.
Que défendez-vous ?
La capacité d’émerveillement, l’audace, le soulèvement, l’exploration, les insurrections singulières, la rêverie et les rêves, les silences et sans conteste la dignité.
Que vous inspire la phrase de Lacan : «L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas»?
J’cloue des clous sur des nuages — un don — un malentendu
Que pensez-vous de celle de W. Allen : «La réponse est oui mais quelle était la question ?»
« Qu’est-ce que la vie ? Un délire.
Qu’est-ce donc la vie ? Une illusion,
une ombre, une fiction.
le plus grand bien est peu de chose,
car toute la vie n’est qu’un songe,
et les songes rien que des songes. »
Pedro Calderón de la Barca — La vie est un songe
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je suis sans réponse.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 22 mai 2017.
Des réponses fines comme des fils d’anges qui se dérobent sous les rayons du matin sur des landes endormies !
Félicitations
Je vous remercie beaucoup Marc !
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