Poétique de la légende d’une étoile filée devenue naine noire
Caroline Regnaut réussit une gageure : réhabiliter l’œuvre de Vladimir Maïakovski. Elle fait pourtant question. La poésie parfois illisible et surannée, parfois vibrante et oratoire subjugue ou rebute. Stalinien avant l’heure ou héros d’une utopie, l’écrivain des Soviets est le créateur d’une poésie oratoire riche de vertiges discutables : « Le rythme magnétise et électrise la poésie » disait Maïakovski mais il arrive que les plombs sautent.
Chantre des opprimés, aboyeur lyrique , militant exalté de la Révolution bolchevique, l’auteur en a épousé les lunes et fut le bras poétique et armé de ses illusions. Il abusa de son aura auprès du peuple fasciné par ses « cantos » en se faisant passer pour un simple et furieux militant de base producteur d’incandescences dont Mélenchon propose aujourd’hui une pâle copie.
Tonitruant et sans doute sincère, il fit du léninisme une religion, une guerre. Il s’en fit le prophète enivré des mots d’un évangile selon lui-même jusqu’à faire de la Révolution russe un prétexte à son torrent verbal au nom de la fraternité que l’idéologie qu’il défendit ne fit que mépriser. Le poète se posa comme un avant-gardiste outrancier mais le choc des mots ne servit qu’à une apologie basique. Il est vrai que Maïakovski vécut sous l’égide de Lili Brik et ses sœurs prêtresses du KGB. Odieux face à Marina Tsvétaéva, il ne s’intéressa souvent qu’à son ego avant de retrouver une lucidité tardive.
Malmené par les Bolchéviques qui avaient néanmoins besoin de lui, de passage en France il confesse : « je rentre en Russie car je ne suis plus un poète, je suis devenu un clerc de notaire de la Révolution ». Et d’ajouter : « De plus en plus je me demande / s’il ne serait pas mieux / que je me mette d’une balle /un point final ». Il le fit à l’âge de 37 ans. Suivirent des funérailles nationales, cercueil tapissé d’étoffe rouge, foule en délire, sanctification par Staline : tout était prêt pour l’incompréhension profonde que suscite l’homme et l’œuvre.
Longtemps il fut en France intouchable. « Les Lettres Françaises » en firent le parangon de la poésie avant qu’il ne disparaisse de l’histoire poétique vue d’ici. D’où l’intérêt du livre de Caroline Regnaut. Elle tire Maïakovski vers un pacte mystique et rend sinon caduques du moins secondaires ses poésies de situation. Elle rappelle aussi ses constats sur la faillite révolutionnaire, les persécutions du pouvoir triomphant. Elle retient le rebelle, le révolté plus que le révolutionnaire lyrique.
La critique tire son modèle du côté du souffle et fait de lui un homme habité qui serait le pendant à la poésie de ce que fut Malévitch à la peinture. Il convient de saluer le travail d’une critique qui, au-delà des marée de drapeaux rouges, voit dans cette œuvre une poétique de la légende d’une étoile filée devenue naine noire. Caroline Regnaut la sauve en prouvant que sa poétique philosophique rigoureuse est étrangère aux clivages idéologiques dans lesquels il a été enfermé et statufié.
jean-paul gavard-perret
Caroline Regnaut, Ressusciter Maïakovski – La 5e Internationale, éditions Delatour , 2017, 192 p. - 16,00 €.