Après Registro dei fragili / Registre des faibles (chez le même éditeur), le Tessinois Fabiano Alborghetti fait paraître La rive opposée, publié en italien en une première version puis remanié pour sa publication chez l’éditeur La Vita Felice en 2013. Le livre « est composé à la manière d’un Spoon River des vivants: chaque poésie est portée par une voix, chaque voix raconte une histoire ».
Le livre est le résultat de la vie que le poète a partagée avec des immigrants clandestins, illégaux et sans papiers au début du millénaire. Alborghetti est devenu le témoin d’existences bloquées dans la pauvreté, la maladie. Néanmoins, tous les perdants retenus font preuve de dignité. Le poète trouve là une manière de dénoncer la soi-disant criminalité des migrants dont les médias se font un écho mensonger et qui favorise les idées reçues que beaucoup aiment colporter et dont une certaine idéologie se nourrit.
Grâce au poète, ceux qui demeurent invisibles ou stigmatisés retrouvent leur honneur. Pour l’affirmer et afin que les témoins ne soient pas spoliés une seconde fois de leur personnalité, l’auteur donne leurs noms. Il s’agit pour l’auteur de casser un ostracisme et de se donner le moyen de poursuivre la défense des faibles dans une oeuvre poétique compacte et qui dérange.
La réalité jaillit dans un engagement résolument compassionnel mais la poésie abrupte rend le texte âpre et sans concession. L’oeuvre constitue une source de vérité sur une réalité que chacun essaye d’oublier en préférant que plane sur elle une obscurité délibérée. Alborghetti est un des rares à l’éclairer afin de montrer là où l’ombre se transforme en lumière dans ce qui tient certes d’un reportage poétique mais bien plus.
jean-paul gavard-perret
Fabiano Alborghetti, L’opposta riva/La rive opposée,traduit de l’italien par Thierry Gillybœuf, Editions d’en bas, Lausanne, 2017, 96 p.