Laurent Grison & Nathan R. Grison, Anacoluthe

 Un noir bun­ker entre éclat et fulguration

Avec Ana­co­luthe, le pho­to­graphe et le poète pro­posent une œuvre “en repons” : à la magie des mots fait écho celle des lignes, des formes, des volumes et des lieux. Tout devient signe pour “contour­ner l’éphémère”, comme l’écrit Laurent Gri­son. Voûtes, blocs, cryptes, gale­ries sou­ter­raines ou à ciel ouvert, esca­liers, pas­se­relles — en leur confron­ta­tion au poème com­pa­gnon de leur pré­sence — jouent du contre­point, fer­raillent “au royaume des contraires “, là où tout demeure à l’état de vide et de déré­lic­tion dans le “pas du pas” cher à Blan­chot.
L’incorporation par effet optique se double du trompe-l’œil que le texte impose. Court (ter­cet dont beau­coup de vers se limite à un mot), il coupe le ver­biage là où la pho­to­gra­phie refuse tout pano­rama large au pay­sage. Mais chaque lieu délaissé devient un état pulsé dont la source d’inspiration reste d’abord le livre lui-même. Son agen­ce­ment sous forme de noir bun­ker n’est pas ano­din. Sous ses murailles nulle vio­lence pour­tant. Le pro­pos reste de l’ordre du frô­le­ment, de l’écharpe dans le frag­ment visuel ou phrastique.

L’archi­tec­ture du livre n’a rien d’innocente. Par la lumière qui baigne de blanc chaque texte et pho­to­gra­phie, le lec­teur glisse d’un monde éton­nam­ment plat à celui d’une perte de ses repères. Ce chan­ge­ment de dimen­sion per­met de fran­chir une fron­tière : ce qui touche à notre angoisse du lieu et de la « ver­rue de verre » du frag­ment poé­tique atteint aussi à notre plai­sir, à notre jouis­sance.
Chaque pho­to­gra­phie devient une tra­ver­sée du temps, et chaque poème celle de l’espace. S’y engendrent le sens non prévu (par­fois dérivé) et le ver­tige angois­sant à tra­vers l’émotion froide des deux médiums. Para­doxa­le­ment, le monde se réanime, sort d’un vide cada­vé­rique comme de “l’horizon séden­taire” là où sont exclues la pure illu­sion et la simple trans­gres­sion.
Res­tent l’éclat et la ful­gu­ra­tion. Celle-ci devient cis­ter­cienne par l’économie mini­ma­liste de l’œuvre à quatre mains.

jean-paul gavard-perret

Laurent Gri­son & Nathan R. Gri­son, Ana­co­luthe, Edi­tion Apei­ron, Saint Junien, 2016 — 25,00 €.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>