Nadine Agostinin joue avec sa propre histoire, ses propres illusions : elles les revendique en les mettant à distance. Car aimer un homme ne revient pas fermer les yeux sur tout. Certes, à la croire, l’auteure ne dort pas que d’un œil. D’autant qu’il n’est pas question de couper le lien avec son Thésée qu’elle fait sans doute beaucoup plus beau (moralement) qu’il n’est.
Mais celle qui se grime (ou presque) en Pénélope n’est pas dupe. Du moins, pas en totalité. Elle sait jouer des ciseaux pour couper le fil d’Ariane (et ses cheveux). Certes, elle rêve de sortir Thésée du labyrinthe car il lui retourne le sang tout en se défendant de lui « pour me défendre de moi-même ». Mais là encore, pas totalement. Alors elle fait comme si. Et son poème est la nouvelle version de la chanson de Queneau chanté par Greco : « Si tu t’imagines ».
A défaut de faire sa vie avec son Thésée, cette vie fait avec. Brodeuse d’étoiles — là où il n’y en existe pas -, Ariane se fait presque « cocotte » (que l’auteure m’en excuse), traînant les casseroles de son amant. Cela sent l’amour à plein mitan d’un lit blanc : pour autant, pour son bal des amants l’auteure évite toute valse au lyrisme. A peine s’il existe un pas de deux.
Mais c’est là tout le plaisir d’un livre qui tient la poésie dans son véritable champ d’action : à savoir, entre la narration et la distance. Elle y tente l’impossible : un entretien aussi infini qu’en morceaux avec un amant qui ne veut pas savoir ce que son amoureuse a dans sa tête et son cœur. Il ne pense qu’à lui. Preuve qu’une fois de plus l’auteur possède la propension à faire l’amour avec des bûcherons. Mais elle a suffisamment d’humour pour s’en amuser (ou presque). C’est remarquable et délicieux.
jean-paul gavard-perret
Nadine Agostini, Ariane, Editions Contre-Pied, Martigues, 2016, 36 p. — 4,00 €.