Guillaume Siaudeau, La ponctualité des escargots

Quand la perte ne cesse de faire œuvre

Faisant bloc avec le quo­ti­dien, le monde est, chez Guillaume Siau­deau, emporté dans la soli­tude qui sai­sit tant de gens éga­rés. Le poète et roman­cier les com­prend à tra­vers leurs gestes et les caresses de son atten­tion mais sans épan­che­ment lyrique. A l’inverse, êtres et choses vus sur­gissent d’une poé­sie qu’on nomme à tort nar­ra­tive. Face aux ano­nymes, l’auteur pose les ques­tions de l’identité et du seuil — et par voie de consé­quence celles de l’apparentement par des gestes dont le dehors signi­fie un dedans du corps.
Très vite les nar­ra­tions « basiques » prennent un autre sens : Le vieil homme souffle à l’enfant que les cerises sont un peu comme les hommes. L’une d’elles se détache, tout en haut. Ils la regardent tom­ber, plus légère qu’une res­pi­ra­tion dans le silence. La cerise s’écrase sur le sol. Leurs yeux peuvent entre­voir la petite fente nais­sante dans la chair rouge. Et entendre l’immensité autour de la cerise. Sou­dain, il n’existe rien de plus seul que cette cerise abat­tue à leurs pieds. L’auteur nous laisse au fond d’une impasse mais il remue encore ciel et terre jusqu’à ce qu’ils aient « la consis­tance d’un horizon ».

Le monde avance et s’inscrit par petites vignettes. Par­fois, une femme, afin de sécher ses larmes reste dix minutes à fixer des yeux sur l’étendoir à linge. L’auteur doute de l’efficacité d’un tel pro­cédé, mais cette sty­lis­tique faus­se­ment nar­ra­tive devient une ode (exsangue de lyrisme) capable de sug­gé­rer la radi­ca­lité du réel. Le tout par une série de seuils, de deuils aussi qui n’en finissent pas de finir parce que la perte ne cesse de faire œuvre tout au long du par­cours dont l’auteur pro­duit des reliques. Il entre­tient avec les êtres des rap­ports dépla­cés que l’écriture exhume à tra­vers ses segments.

Que voyons-nous en de tels frag­ments de prose poé­tiques sinon la perte de com­mande des êtres sur leur vie au sein d’une enquête filée mais dont la trame s’effiloche ? L’écriture est tou­jours reprise parce que, d’une cer­taine manière, elle reste en attente de ce qui échappe. Elle s’implique comme l’absente, la reti­rée, l’endeuillée qui tente pour­tant de recons­ti­tuer un “ ensemble ”.  Une exis­tence défec­tive, livide résiste mal­gré une ori­gine per­due et qui de toute façon ne console jamais de ce qui a été vécu. Si peu. Ou si mal.

jean-paul gavard-perret

Guillaume Siau­deau, La ponc­tua­lité des escar­gots, Edi­tions du Petit Véhicule,2015, 45 textes, 54 p. - 10,00 €.

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Filed under Poésie, Romans

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