Mariken Wessels, Taking Off, Henry My Neighbor

Le voi­sin américain

Ce livre est le “making off” autant que le “taking off”  d’un mariage raté, de la frus­tra­tion sexuelle et du voyeu­risme. Il est consti­tué de pho­to­gra­phies et de col­lages tirés et conçus à par­tir d’un immense dos­sier de nus ama­teurs. Grâce aux gens qu’elle a ren­con­trés lors d’un voyage aux Etats-Unis, l’artiste a eu accès à l’atelier et aux archives d’Henry qui lui a accordé la pleine uti­li­sa­tion de son cor­pus pho­to­gra­phique. Elle a créé à par­tir de là un livre-artiste qui devient un véri­table voyage dans la vie d’Henry à tra­vers entre autre la vision de son ex-femme et muse Mar­tha.
Celle-ci semble par­fois réduite à un « usten­sile » éro­tique et voyeu­riste. Mais, à tra­vers cette vision, Henry vou­lait créer — au-delà d’un avè­ne­ment pos­si­ble­ment fre­laté — une sorte de nou­velle reli­gion athée et incons­ciente qui laisse l’artiste plus que son « modèle » en posi­tion de vic­time d’un genre très par­ti­cu­lier : celui de bour­reau gen­til ou ce que disait Bau­de­laire : « Je suis la plaie et le cou­teau / Et la vic­time et le bourreau ».

Mari­ken Wes­sels « remonte » l’ensemble des docu­ments ico­no­gra­phiques non sans humour et poé­sie. Elle met en évi­dence le Janus à deux faces qu’est Henry : grand prêtre, sacri­fi­ca­teur mal­adroit et vic­time sacri­fiée. L’artiste prend dans ce face à face un rôle aussi ambigu qu’astucieux : elle n’est pas sans lever des ambi­guï­tés tout en en lais­sant d’autres ouvertes.
La créa­trice y affirme sa « dif­fé­rAnce » (Der­rida) qui lui per­met de prendre une place de choix au sein de ce duo infer­nal. L’artiste par ses recom­po­si­tions vam­pi­rise Henry et sa muse au sein de diverses cou­pures. Elle est capable d’assumer un rôle par­ti­cu­lier et d’affirmer un fémi­nin de l’être qui échappe à la schi­zo­phré­nie et à la  vision ido­lâtre. Celle qui croit en l’art devient son « apos­tat» en culti­vant une équi­voque drôle et sub­tile. Par la masse des tra­vaux et des mises en scène d’Henry et de vic­times consen­tantes, elle pro­duit le livre-action qui démonte toute une vision « basique » de l’érotisme tout en pré­ser­vant cer­tains de ses stig­mates et de ses traces.
Pas­sion­nant et incisif.

jean-paul gavard-perret

Mari­ken Wes­sels, Takin Off, Henry My Neigh­bor, Art Paper Edi­tions, Gand (Bel­gique), 2015, 330 p. — 55,00 € €.

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