Julien Syrac, Complainte du mangeur solitaire

Julien Syrac, Complainte du mangeur solitaire

De l’Homme à l’animal

Composé de tercets, le livre de Syriac est saisissant par la brutalité que lui donne ce choix formel. Il épouse la voix d’un mangeur haletant dont le rythme épouse celui de la ville. Ce personnage  ne craint pas, dans sa sincérité, d’enfoncer les portes ouvertes. Non parce que cela est plus facile mais parce que cela est nécessaire dans un monde où la plupart joue les hâbleurs habiles.
Un tel homme n’en a cure et ne cherche pas à séduire de manière complaisante. Il parle pour ceux que nous sommes et qui se vautrent dans leur porcherie avec un moindre sens de l’ humiliation.

D’une certaine manière, Syrac parle plus des animaux qui nous habitent que de ceux que nous mangeons. Sous nos feintes de grandeurs, il met le doigt sur nos mesquineries par ces tercets qui lacèrent notre peau de crocodile pleureur. Une fois de plus, l’auteur se fait cynique mais enjoué. Proche d’un certain nihilisme, il ne tombe jamais dedans car pour lui cela serait trop facile.
Et c’est une grande clé du livre qui mélange divers niveaux de culture ou de littérature. Ce qui n’est pas le plus facile mais apporte une sensibilité ricaneuse aux poèmes qui ne divorcent jamais de la vie telle qu’elle est..

Les mangeurs n’ont rien de parfait. Et c’est un euphémisme. Le minable s’étale moins avec pusillanimité que gaieté et rapidité. Nos vies minuscules et empêchées s’avancent au gros galop dans une dérive échevelée, habile et drôle. Elle peut réconcilier avec la poésie ceux qui l’apprécient guère. Elle prouve que le genre n’est pas celui des contours mais d’une traversée directe de la rue ; pas forcément pour y trouver du travail mais un fast-food pour ceux qui sont toujours disponibles pour plus ou moins bonne bouffe.

jean-paul gavard-perret

Julien Syrac, Complainte du mangeur solitaire, Gallimard, coll. Blanche,  2019.

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