
Hervé Commère, Dernier cri
Le personnage principal retenu par le romancier n’attire pas spécialement l’empathie. Il est passé au service du grand capital et, dans le début du récit, mène des actions peu reluisantes. Il part tromper son épouse, qui sort d’un cancer, avec une femme qui fut un amour de jeunesse. Cependant, les différentes étapes, les nombreuses actions qu’il sera amené à faire, les multiples situations qu’il aura à vivre, vont le rendre sympathique. Toutefois, son éducation, son passé peuvent expliquer, donner quelques excuses à son attitude.
Hervé Commère, dans ce roman noir, va lui faire rencontrer les Invisibles, l’immerger dans ces populations pauvres, précaires, ces trimeurs de l’ombre, toujours sur le fil pour ne pas sombrer dans une plus grande misère. Il interroge sur les pensées que l’on peut avoir quand l’individu est soumis à des horaires déraisonnables : comment peut-on encore réfléchir lorsqu’on cherche à survivre, quel recul peut-on prendre quand on vit dans le dénuement le plus total ?
Rafi, au Bengladesh, a promis à Farah, sa jeune sœur, qu’elle fera le championnat du monde de surf. Pour cela, il travaille comme un forcené dans des conditions innommables à blanchir des jeans. Et l’immeuble, vétuste, s’effondre. Dans le sous-sol, les ouvriers sont coincés.
Étienne Rozier a changé de vie à 45 ans passés. De policier, il est devenu le suppôt d’une agence de lobbying et a quitté sa vie de merde. Il fête ses 50 ans et un ami lui offre, il est amateur de motos, une invitation pour deux jours au salon du tuning à Rotterdam. Mais c’est l’alibi qui va lui permettre de rejoindre Anna Dufossé, une fille qu’il a connue lors de son adolescence à Elbeuf et qu’il a retrouvée, journaliste, dans un couloir du Parlement européen.
À Rotterdam, les retrouvailles sont torrides, leurs corps s’épuisent, se rejoignent. Lorsqu’il sort d’une douche prolongée, il trouve Anna étranglée sur le lit. Il comprend que tout va l’accuser. Il décide de disparaître pour trouver le meurtrier, son commanditaire qui a voulu faire taire une journaliste en passe d’écrire un livre choc sur l’industrie textile…
L’auteur pose le problème, ces visions irréconciliables entre des écolos qui défendent la diminution d’un bilan carbone et des bouches affamées qui veulent travailler pour survivre. Car ce n’est pas 2050 qu’ils voient, mais le lendemain, voire le jour même. Il met en lumière l’existence de ces esclaves des industries textiles dans ces pays lointains qui permettent des vêtements à bas prix, mais à quel prix humain.
C’est un roman particulièrement documenté, appuyé sur du concret. Le romancier livre, en fin de volume, les multiples rencontres qui lui ont permis de structurer de si belle manière son récit. Il donne le nom de journalistes qui ont inspiré le personnage d’Anna et, effectivement, lors de l’avancée dans la lecture, ce sont des figures, des noms, qui viennent à l’esprit (Je vous laisse les découvrir).
Dernier cri est un livre noir, à la lecture passionnante et prenante, avec une intrigue de haut niveau, mais que l’on referme avec un certain malaise, avec une certaine culpabilité liée à l’ignorance, voire à l’indifférence quant aux réalités de l’existence de ces couches sociales.
serge perraud
Hervé Commère, Dernier cri, Fleuve noir, coll. « Policier & thriller », janvier 2025, 448 p. – 21,90 €.