Celui qui défend la philosophie – mais pas que. Entretien avec Tristan Ledoux (Le nanti et l’usurpateur)

Celui qui défend la philosophie – mais pas que. Entretien avec Tristan Ledoux (Le nanti et l’usurpateur)

Venu dit-il « d’un accident biologique », Tristan Ledoux a renoncé à la vie sauvage comme à la vie programmée par l’I.A.. Et ce, à la recherche des mots par les idées – et inversement. Au nom de l’humanité, il ne cesse d’entamer des pourparlers avec les rapaces qui obligent à rester leurs laquais et leur nourriture. Pour eux, l’humanité n’est qu’un gâteau mais le seul espoir serait qu’un tel biscuit se mette à sauter ou à être saupoudré d’un poison.
Bref, Tristan Ledoux arrête l’anthropophagie mentale. Il fait reculer ses propres limites mais aussi notre servilité en espérant – entre autres par la fiction – nous faire sortir de nos réserves et décerveler le Père Ubu. Et avec un tel auteur, Ulysse est toujours ici.

Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La perspective d’une nouvelle journée à vivre. Parfois d’un travail à entreprendre, à poursuivre ou à terminer.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils se sont enfuis au contact de la réalité, comme chez la plupart des individus, mais certains ont trouvé le moyen de se dissimuler dans les fictions que j’essaie de construire.

A quoi avez-vous renoncé ?
A la vie sauvage.

D’où venez-vous ?
D’un accident biologique.

Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Le désir de me débarrasser de tout héritage, au sens parental ou familial.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
La découverte d’une belle idée motrice.

Comment définissez-vous votre humour dans votre écriture ?
Comme une sorte de supplément que m’offrent les mots quand je les cherche avec suffisamment d’acharnement.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le gros plan sur un morceau de viande grouillant de vers dans « Le Cuirassé Potemkine » de Eisenstein.

Et votre première lecture ?
« Voyage au bout de la nuit » de Céline.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Prokofiev, Debussy, Ravel, Miles Davis, Frank Zappa, Serge Gainsbourg, le jazz…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« La Colonie pénitentiaire » de Kafka (mais il y en a tellement qui me viennent à l’esprit que j’ai beaucoup de mal à répondre…)

Quel film vous fait pleurer ?
« Providence » d’Alain Resnais.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’essaie de ne pas voir mon père.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon père.


Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Dublin (à cause d’« Ulysse »).

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Franz Kafka, Witold Gombrowicz, Laszlo Krasznahorkai, Thomas Bernhard Claude Simon, Samuel Beckett, Hermann Broch, Régis Jauffret, William Faulkner… et René Magritte.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un pied-à-terre à Paris !

Que défendez-vous ?
La philosophie.

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
A peu près la même réaction que la phrase de Blanchot sur le désir (« Qui désire entre dans l’espace où le lointain est l’essence de la proximité »), c’est-à-dire que l’on a affaire à une belle impossibilité, une impossibilité qui nous définit et qui mobilise tous nos plus délicieux / douloureux fantasmes. Comment peut-on donner quelque chose qu’on n’a pas ? Effectivement, l’amour on ne l’a pas, on le fabrique au fur et à mesure. Et si le récipiendaire en voulait, ce ne serait pas de l’amour, mais quelque chose comme une marchandise.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Bien joué ! Elle me fait penser à ces interviews-bidon où la caméra filme la réponse de passants qui répondent à d’autres questions que celles qui leur ont été posées.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Allez-vous continuer à écrire comme un tâcheron dans un monde où l’IA promet d’écrire la plupart des livres qui seront vendus à plus ou moins brève échéance ?

Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com,  le 16 janvier 2025.

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