Giacomo Leopardi, Dialogue de la mode et de la mort
Noires soeurs
Le dialogue présente deux entités abstraites (la Mode et la Mort) selon le modèle des Lumières. Composé à Recanati entre le 15 et le 18 février 1824, Leopardi unit la Mode et la Mort dans une parenté singulière : toutes deux sont filles de l’éphémère. de la fugacité et toutes deux immortelles. Leur but commun est de démolir et de détruire les choses du monde, tout en suivant des chemins différents : « nous nous efforçons également de défaire et de changer continuellement les choses d’ici-bas, bien que vous y alliez par une voie et moi par une autre », disent-elles.
Dans son travail de changement continu, la Mort s’adresse aux « gens et au sang », et pour elle la mode se contente « principalement de barbes, de cheveux, de vêtements, d’articles ménagers, de palais et de choses similaires ». Elle prend une attitude de supériorité snob sur un ton agacé face à la Mode mais va pouvoir démontrer sa puissance qui finira par être reconnue par sa sœur.
La mort est ridiculisée, avec l’image grotesque du crâne de la mort, qui a une « mauvaise vue», mais qui, étant dépourvu de nez et d’oreilles, ne peut même pas mettre de lunettes. De plus, la mort est également sourde, et demande à la mode de parler plus fort.
Dans ce dialogue, les deux protagonistes courent sans jamais s’arrêter, dans un rythme frénétique, qui correspond stylistiquement à l’obsession moderne de la vitesse. Mais la course de la modernité, loin d’être un véritable progrès, tend vers la mort, dont la mode est une fidèle alliée. Le pouvoir de la mode est tel qu’elle finit par devenir l’incarnation la plus emblématique de la modernité, de sa décadence par rapport au monde antique, de sa course insensée vers la mort.
Comme l’affirme Leopardi, l’époque moderne privilégie la « spiritualisation des choses humaines et de l’homme » qui oublie et va, au détriment de la corporéité. La mode contribue largement à cette tendance, négligeant ce qui serait bénéfique pour le bien-être du corps et promouvant des pratiques qui endommagent le corps et raccourcissent la vie. Pour Leopardi, critiquer la mode, c’est donc critiquer la modernité dans son ensemble.
La « Moda » expose les nombreuses activités menées en faveur de sa sœur. Au début, Lessa semble limiter son champ d’action aux vêtements, aux articles ménagers mais en réalité, son influence va beaucoup plus loin. La mode pousse les hommes à se percer non seulement les oreilles mais aussi les lèvres et le nez.
La mort reconnaît enfin la Mode comme sa sœur. De son côté, la mode fait remarquer à la Mort combien elle l’a aidée, faisant disparaître ou déformer toute coutume, sauf celle de mourir. À la plaisanterie sarcastique de la Mort, qui affirme que la Mode ne pourra jamais éteindre la coutume de mourir, celle-ci répond que son interlocuteur ne connaît pas « le pouvoir de la mode ».
jean-paul gavard-perret
Giacomo Leopardi, Dialogue de la mode et de la mort, Traduction et photographies de Gérard Macé, Imprimé à 30 exemplaires sur BFK Rives, numérotés et signés par le traducteur, enrichis de quatre photographies originales signées par l’artiste, Le temps qu’il fait, 2024, 24 p. – 330,00 €.