Frédéric Beigbeder, L’Égoïste romantique
Un conte moderne, in à souhait, d’où sourd un ennui qui ne prend fin qu’à la toute dernière page
Dans la tournée des grands crus du printemps 2005, Frédéric Beigbeder n’est pas en reste et s’est même voulu innovateur : on n’arrive même plus à le trouver pathétique. L’Égoïste romantique est le journal raté d’une vie ratée. L’auteur se revendique Bridget Jones au masculin mais c’est encore un Oscar Dusfrene misogyne et mégalomane que nous retrouvons dans ce journal intime prolixe en potins, qui pourrait rivaliser avec Voici.
Le ton est affligeant, monocorde, c’est comme une voix sans timbre qui a cessé de respirer, une âme éteinte tellement recroquevillée sur ses menus plaisirs et ses petits larcins qu’elle ne sait plus s’émerveiller du monde. Les jours et les saisons se succèdent dans ce journal intime sans autre histoire qu’une succession d’allers-retours entre discothèques pour VIP, hôtels cinq étoiles, grands restaurants et boîtes de strip tease.
Le conte est moderne, « in », on a tous les ingrédients du roman XXIe siècle, autofiction revendiquée, name dropping à faire pâlir plus d’un carnet d’adresses, sexe à gogo avec des filles toujours plus (plus siliconées, plus minces, plus… etc.) jusqu’à ladite Françoise – phantasme ultime – dont on se lasse quand même et qui le quittera pour une femme. Ça se veut sex, drug and rock’n’roll, mais ça vire bruits de couloir, vies aseptisées et ennui d’outre-tombe. Sans curiosité, sans hâte, on tourne les pages de ce livre qui ne nous brûle pas les mains, et qui semble aussi inutile au public qu’à l’auteur lui-même.
Mais l’homme a réussi le pari : il s’est tellement surmédiatisé avec son œil larmoyant et sa chemise d’intellectuel pseudo-romantico-trash qu’on lit son livre. Juste pour voir. La seule recette du succès Beigbeder c’est que tout le monde peut écrire des livres comme Frédéric Beigbeder mais que personne ne s’appelle Frédéric Beigbeder. Accordons-lui aussi le fait qu’il est indéniablement doué dans l’art de l’autodérision – il suffit de voir son autocritique dans Lire d’avril 2005, page 8, où il dissuade les critiques de faire mieux que sa propre autocritique ! Le comble !
Beigbeder est malin parce qu’il touche à notre côté condescendant de médecin du cœur : il a l’air tellement malheureux pour de mauvaises raisons que nous avons presque envie de comprendre pourquoi. Ce qui est dommage dans toute cette surenchère mediatico-lettreuse c’est que Beigbeder nous importune pendant 397 pages avec ses paillettes et ses artifices, il nous énerve et nous abasourdit à force de se moquer de nous quand soudain, à l’ultime page, ô miracle, Frédéric Beigbeder parvient – enfin – à être un tant soit peu crédible et authentique au bout de cette course effrénée contre lui-même :
Au moment de cette épopée que me reste t-il ? Une odeur. Le parfum du cuir dans les voitures anglaises de mon père. Une puanteur de luxe qui m’écœurait. Jaguar, Daimler, Aston Martin, Bentley : elles schlinguent toutes autant. Je me souviens de mon dégoût pour ces banquettes beiges qui sentaient trop fort. Je voulais plaire à ce playboy qui conduisait vite. Donc plaire à toutes les femmes, comme lui. Et pour cela il fallait devenir quelqu’un.
Il a fallu dix ouvrages et 397 pages à Monsieur Frédéric Beigbeder pour qu’enfin le guignol tombe le masque, cesse ses gesticulations absurdes, délaisse ses amourettes de comptoir, pour finalement en une petite phrase toute simple réussir son pari d’authenticité. On lit parfois quelques livres juste pour leur chute. Car une chute peut changer le sens d’un livre et transformer un mauvais livre en un bon. Gageons que l’auteur saura laver sa parole de tous ces faux-semblants et écrire enfin un livre qui ne sera plus un coup de pub. Un livre un peu comme cette 397e page de L’Égoïste romantique.
sonia rahal
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Frédéric Beigbeder, L’Égoïste romantique, Grasset, avril 2005, 397 p. – 18,00 €. |
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