Eric Chassefière & Laurent Grison, Peindre de son corps , L’amour sans fin
The Pillow-Book
Dans ces deux livres, Eric Chassefière dialogue avec les photographies de Laurent Grison. A priori, l’un proposerait des miroirs du dehors, l’autre le fuirait « ouvert à l’ombre », à la lumière du cœur. Mais, entre ces deux « regards », la blessure des mots se dit sur la surface des photos (elles-mêmes écorchées en estafilades). Tout se joue entre la nuit et le jour par le bal des mots dits et la magie des verticales colorées et parfois leurs brisures en noir et blanc. Les lecteurs de ces textes deviennent leurs voyeurs obligés.
Au-delà des paysages (ou des abstractions de Laurent Grison), Chassefiere projette sur la femme, son corps, son âme ce qu’il en dit. Les voici soumis à ce flux et démultipliés car ces deux créateurs conjugués provoquent une relation profondément spirituelle, aussi ailée que charnelle et érotique – entre dentelles et ciel. Parfois, l’amour demeure pudique et presque platonique comme si la femme était nue de nuées. Mais ici, la poésie et la photographie dérangent car il n’est pas jusqu’à la vulve parfois béante de s’ouvrir sur l’imaginaire. Dès lors, le lecteur est contraint de s’infiltrer plus que de s’enfoncer.
La vie s’y rattache – même dans des envolées où la mort rampe. Si bien qu’un miracle de l’amour peut chuter vers l’absence et le manque. L’accomplissement toutefois n’est pas oublié. Il est plus qu’une thématique : il devient la poésie et sa présence, et la photographie son essence. Ce qui est masqué dans les abîmes de l’être, les deux créateurs le révèlent en nous faisant participer à leur quête. Nous retrouvons par la surface des images et des mots l’épreuve de l’épaisseur humaine. Elle participe ici à une telle éclosion de l’âme et des ratés du corps. Mais l’inconscient s’ose en images et en mots. Les deux perdent de toute émolliente castration.
Entre la nuit et le jour, la couleur et le noir, ces deux livres rappellent à la rencontre impossible, au seuil infranchissable de l’incarnation et de l’âme. Si bien que le Pillow Book cher à Greenaway fait dans ces deux livres non écran mais frontière. Comme ce cinéaste, les deux auteurs connaissent leur obscur mais s’adressent toujours à lui par infusion. Nous dérivons parfois là où nous « entendons » et voyons de tels symptômes émis : ils sont aussi les nôtres là où sont évoqués écarts, ruptures et convulsions lentes.
jean-paul gavard-perret
Eric Chassefière, L’amour sans fin, sur des photographies de Laurent Grison, Semaph(o)re éditions, Collection Cahier Nomade, Québec, 2025, 72 p. – 14,00 €.
Eric Chassefière & Laurent Grison, Peindre de son corps, Editions Pourquoi viens-tu si tard ?, Nice, 2025, 78 p. – 13,00 €.