Celui qui n’a pas renoncé au Paradis : entretien avec Denis Montebello (Le Titien à sa maman)

Celui qui n’a pas renoncé au Paradis : entretien avec Denis Montebello (Le Titien à sa maman)

Denis Montebello dit « écrire contre ». Mais il écrit néanmoins pour ses lecteurs qui lui en savent gré. A l’ombre sympathique de ses phosphènes, il invente des sortes de blasons plus ou moins subliminaux et d’un genre particulier.
Le sens est rendu inflammable par certains rituels de glorifications particulières. Et dans son dernier livre, il montre que tant que Moka, le chien de sa voisine existe, rien ne peut être dépeuplé. Le paradis espéré est encore pour demain. Et c’est une manière aussi de mettre du beurre dans Epinal.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le texte en train de s’écrire, et que je dois impérativement coucher sur le papier avant qu’il ne me quitte. Un peu comme dans « Fellini Roma », quand les travaux du métro mettent au jour une villa enfouie, inondée. Il faut que j’arrive avant le vent, avant que les fresques ne s’effacent au contact de l’air. Quand il n’y a pas cette nécessité, cette urgence, je dirais la perspective d’un bon café – d’un moka d’Éthiopie.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Longtemps j’ai voulu être archéologue. Ce rêve ne s’est pas réalisé. Mais il est à l’origine de mon désir d’écrire. J’écris comme je lis. Je cueille des traces. Les fossiles qui s’incrustent dans notre présent.

À quoi avez-vous renoncé ?
À tout, sauf au paradis. Le paradis, pour moi, c’est quand les mots ressemblent aux choses. On en est progressivement chassé. On est peu à peu livré à l’arbitraire du signe. Je ne m’y ferai jamais.

D’où venez-vous ?
De l’enfance, de la grande forêt d’enfance où j’allais cueillant les champignons, les fleurs sauvages : des noms. J’en ramassais aussi dans les dictionnaires. De pleins paniers.

Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Mon nom. J’écris pour l’habiter. Mais ce n’est pas facile. Il faut être mort pour habiter son nom. Vivant, on ne fait rien d’autre qu’écrire contre, comme Henri Michaux, ou travailler à lui ressembler, comme Kafka.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Cueillir des noms. En forêt ou dans les dictionnaires. J’aime les dictionnaires. J’aime ces noms qui, dirait Michaux, n’appartiennent pas à des phrases. Mais ces noms, je les reçois aussi comme des vestiges, comme les traces présentes d’un passé plus ou moins lointain. J’aime les étymologies, les vraies comme les populaires, les « fausses » ont quand même ma préférence. J’aime les langues. Le latin, mais il m’a fallu du temps. Le gaulois, une passion récente. Et ce qu’on n’appelle plus patois, mais parlanjhe ou poitevin-saintongeais.

D’où est partie votre idée de poésie canine et expérimentale ?
De Moka, le chien de ma voisine. C’est à lui que j’ai pensé en découvrant, dans la liste que Marcel Bénabou avait dressée des contraintes oulipiennes (on la trouvait sur Internet), le poème pour chien. Le poème pour chien (je cite Marcel Bénabou) « inclut le nom d’un chien d’une manière invisible pour l’oeil humain mais parfaitement audible pour l’oreille canine ». Je suis parti de là. D’ailleurs, Poème pour chien est le premier texte du recueil. Si j’écris dans un texte que j’utilise un café moulu pur arabica bio Moka d’Éthiopie, cela n’intéressera évidemment personne. Si en revanche je mets du moka dans un poème, dans un poème que je lis à haute voix, suffisamment fort pour que le chien de ma voisine entende, Moka réagira à son nom en aboyant.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Celle d’un cimetière sous la lune, d’une tombe devant laquelle le personnage s’arrête, où il lit un nom, CALATAYUD, qui est le sien. Celui qu’il portait dans une vie antérieure. Le personnage éprouve le sentiment de « déjà vu », « déjà vécu ». Ou c’est moi, enfant, aux premiers temps de la télévision, quand je découvre cette scène qui me hantera longtemps. De quel film, et qu’est-ce que je faisais là, à cette heure tardive ? Je me souvenais vaguement de Gérard Philippe. Mais c’est surtout le nom qui restait : CALATAYUD. Il m’a poursuivi. Jusqu’à ce que je découvre, il y a peu, que c’était un film de Georges Lacombe, sorti en 1946 et tiré d’un roman de Pierre Véry. Il a pour titre « Le pays sans étoiles ». Et pour sujet les rêves prémonitoires. Mais CALATAYUD, c’est d’abord une ville. Non loin de Saragosse. J’y suis allé. Pour vérifier.

Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment, j’écoute volontiers November Ultra. Cette chanteuse a une voix qui me bouleverse. Et je me sens chez moi dans sa chambre. J’aime bien aussi Albin de la Simone : « Les cent prochaines années ».
« Je suis père et fils et je fus mari
      Années 70 avant Jésus-Christ
      Je reviens de loin à travers le temps
      J’ai fait le chemin à dos d’éléphant (…) »

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Récits et fragments narratifs » de Kafka, dans La Pléiade. Son « Journal » aussi.

Quel film vous fait pleurer ?
« Casablanca ». La fin qui était écrite et qu’on voudrait pourtant empêcher.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
L’archéologue que j’aurais voulu être. Ou le chasseur-cueilleur (on dit aujourd’hui collecteur) que je n’ai jamais cessé d’être. Quelqu’un qui n’a pas accompli sa révolution néolithique.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À moi-même. Pourtant j’aurais beaucoup à dire. Et à redire.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Épinal où je suis né et où j’ai grandi. Dans la grande forêt des contes. J’y ai appris l’errance. Qu’on pouvait aller ainsi dans sa vie. Dans un espace ouvert. Aux rencontres et au merveilleux. La déambulation sans but, chère aux Surréalistes. J’y ai appris (sans rire) le tourisme. Mais les images d’Épinal, c’est synonyme aussi de cliché. Et surtout de dressage. Elles vous apprennent à marcher droit. À obéir. Ce n’était pas pour moi.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Des auteurs qu’a lus Kafka, Robert Walser par exemple. Ou qui l’ont lu, le lisent, comme Walter Benjamin ou Georges Didi-Huberman.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un lecteur de tesson. Je caresse l’espoir d’entendre le potier à son tour, quelques fragments de conversation. J’aimerais savoir dans quelle langue il parlait, lui répondre, même si ce n’est pas à moi qu’il s’adresse. Je ne suis pas très exigeant.

Que défendez-vous ?
Le droit à la paresse. Et celui de ne pas appartenir. « Méfie-toi de l’adaptation, disait Michaux, toujours garde en réserve un peu d’inadaptation. »

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
J’y pense chaque fois que je sors un livre. Je me demande s’il trouvera ses lecteurs.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Dans la même situation, beaucoup, et de plus en plus, répondent non.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
La question qui tue. Heureusement. Vous auriez pu aussi me demander si je lisais Henri Thomas, si on le lisait encore. Comment je comprenais ceci :
« Quelqu’un rêve que je suis vivant. Quand il cessera de rêver -quand il s’éveillera- je mourrai. » Henri Thomas, « La défeuillée « (« Le temps qu’il fait »).
Je vous aurais remercié de me poser cette question, mais je n’aurais su quoi répondre.

Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire;com, le 26 juin 2023.

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