Andreea-Maria Lemnaru : de la philosophie à la poésie – entretien avec l’auteure (Equinoxe)
Andreea-Maria Lemnaru est philosophe des religions à la Sorbonne et chercheuse associée à l’Université de Cambridge, spécialiste du néoplatonisme et des religions antiques. Elle consacre ses travaux à l’expérience religieuse dans la philosophie antique, ainsi qu’à la nature et aux principes féminins dans les religions anciennes.
Dans son travail de poétique et selon une postulation mystique, visionnaire, expressionniste et métaphysique, influencée par le folklore et les mythologies européennes, elle libère de tels univers sous forme de chants des ombres et du soleil. De l’encre des nuits, à la source des mots Andreea-Maria Lemnaru fait donc jaillir la lumière.
D’où, depuis « Abysses » des visions hallucinées où, solitaire, la poétesse agite les consciences et leur double dans l’eau comme dans le feu. Elle ouvre « La nuit avant le livre » (Artaud) là où « Créer ne rend pas coupable. Et innocent pas plus. » (Pierre Bourgeade). Le tout dans un effet de mimétisme et de scission.
Nous sommes alors frappés par ce qui en nous nous appartient sans nous appartenir et que les poésies de l’auteure révèlent. Ce sont des miroirs dans lesquels nous ne nous voyons pas encore. Ces oeuvres font de nous de nécessaires « schizophrènes » : au moi d’au-dessus succède le moi le plus caché. Une nouvelle fois, elle fait entrer dans l’ombre pour qu’en émerge une clarté.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon désir d’améliorer le monde dans lequel je vis, de créer et de défendre ce en quoi je crois.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je rêvais de me dédier à la philosophie, aux mythologies anciennes, à la recherche, d’enseigner, d’écrire de la poésie, d’être corps et âme au sens et à l’essence de l’existence. C’est chose faite.
A quoi avez-vous renoncé ?
À l’immortalité du corps.
D’où venez-vous ?
D’ici et d’ailleurs. Je suis Française et parisienne, d’origine roumaine et russe.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
La chaîne d’or, la tradition hermétique, le sens du sacré et de la noblesse d’âme.
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Voguer sur l’océan.
Comment définiriez-vous la nature de votre poésie ?
Symboliste, mystique, extatique, visionnaire, mythologique, hallucinée, onirique, orphique, expressionniste.
Quelle influence les théories Littéraires (ou autres) ont sur elle ?
Les traditions religieuses populaires européennes pré-chrétiennes (chamanisme, rituels liés au culte des divinités de la nature) influencent beaucoup mon écriture. Je suis une âme antique, peut-être même paléolithique.
Quel poids représente le passé dans votre oeuvre ?
Le passé de nos civilisations et du monde représente beaucoup dans mon travail, car je suis, de fait, traditionaliste.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Un tremblement de terre. Grandiose, sublime. La toute-puissance de la nature face à une humanité toujours trop orgueilleuse.
Et votre première lecture ?
La Comtesse de Segur et Alexandre Dumas.
Quelles musiques écoutez-vous ?
De la musique traditionnelle sacrée du monde entier, en particulier des polyphonies, du classique, du rock, du métal, du flamenco, du tango… Tout ce qui est puissant et beau.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les Hymnes de Synésios de Cyrène.
Quel film vous fait pleurer ?
Les Contes de Terremer de Goro Miyazaki.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
L’impermanence de la matière et l’éternité de l’être.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je suis de nature audacieuse : j’ai toujours osé écrire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Islande.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Rimbaud, Rilke, Šopov, Apollinaire, Seferis, Plotin, Tsvetaeva, Bashô, Pozzi, Benediktsson, Yourcenar, Blaga pour l’écriture et Gustave Moreau, Leonora Carrington, Edvard Munch, Bosch, Füssli, Chagall et Friedrich pour la peinture.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une chanson, un poème, un tableau – ou une île dans la mer du Nord.
Que défendez-vous ?
Le sacré, la mémoire des traditions religieuses européennes (pré-chrétiennes comme chrétiennes), l’égalité entre les civilisations, l’unité de la famille comme socle de la société dans une perspective plutôt matriarcale, la valeur intrinsèque et supérieure du vivant et de la Nature sur l’hubris de l’espèce humaine.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Elle m’amuse, et incarne à mes yeux davantage le symptôme d’un cœur désabusé par ses relations avec le sexe opposé qu’une réalité.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
C’est plus optimiste. Je la préfère à celle de Lacan, Allen a d’avantage d’humour même si cette phrase est un peu trop relativiste à mon goût.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Croyez-vous au hasard ? Non.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 28 juillet 2023.
One thought on “Andreea-Maria Lemnaru : de la philosophie à la poésie – entretien avec l’auteure (Equinoxe)”
Excellent !
Je constate avec ravissement que d’autres personnes s’intéressent à l’Antiquité sous une vision onirique et plus proche de la réalité qu’analytique ou historique.