Andreea-Maria Lemnaru, Equinoxe
Il existe dès le départ et « dans les profondeurs voilées » celui dont le nom s’est effacé et qui n’est plus qu’image ou ombre. Mais l’espace et les statues sont plein de lui. En contrepartie, la poétesse semble disparaître pour mieux brûler dans sa lumière « Capturée par le sang d’un arbre » et dont le feu brûle encore.
Entre eux le monde va. Avance-t-il pour autant ? Mais en son nom et celui de l’amour, l’ombre perdure, celle de l' »amant » particulier et immanent qui « habite toujours / Au fond du rêve ». Il a beau prétendre que « son nom est / Personne ». Mais c’est pour vaincre la mort.
Et il fait un signe de sa main, » Et c’est le seul signe / Que je connais », écrit l’auteure qui lui offre ses mots, sa langue et soudain il éclaire le monde car « C’est le fils du soleil » : il transcende les humains et leur redonnent voix.
Le tout au nom d’une trinité divine qui lie le païen au sacré pour que le jour ceint de sa couronne « s’élève sur des torrents de feu » et afin que la tendre Gorgone – dont le chant est plus pur « Que celui de la / Prostituée de Babylone » au sein du vent du large – traverse le monde.
Des poèmes, mystiques et légendaires, encensent une nature magique, peuplée d’êtres invisibles. L’ensemble dans un langage oraculaire, épuré et dans la veine d’un symbolisme habité. La poétesse en fille de l’air devient son émettrice comme celui de l’absolu. Elle se met à son service telle une sainte en adoration pour conjurer le temps et transcender ceux qui enterrent Dieu ou ses semblables depuis que Nietzsche a annoncé sa mort.
Une telle créatrice redevient Eve première et rassemble les temps. Tout est rêve et harmonie en dépit des serpents qui sifflent un peu partout. Certes, celui qui habite le songe est un spectre en manque d’amour mais la poétesse lui accorde en un tel chant ample et doux ce qui lui manque ou ce que nous ignorons de lui. Elle s’élève contre l’obscur.
Il y a en ce sens du Hugo chez une telle créatrice. En sirène, elle sauve ce qui peut l’être en s’arrimant à la blessure que nous accordons à nos chimères comme à toute transcendance. Bref, elle devient la Reine qui – et en plus – défend divers types d’opprimés et de gueules cassées. Si bien qu’un tel texte devient parfaitement sacré.
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jean-paul gavard-perret
Andreea-Maria Lemnaru, Equinoxe, Editions du Cygne, Paris, 2022, 60 p. – 10,00 €.
