Sacraliser la parole et/ou démythifier le langage
Une pierre, une mobylette, quelques formes géométriques donnent occasion d’entonner une parodie de la Genèse. Des proférations donnent lieu à des formulations baroques dont la fonction semble être phatique et apophantique. On assiste à de nombreuses énumérations ; chacune ouvre sur des injonctions présentées comme inopinées, pondérées, amusantes, saillantes ou pesantes.
Lorsqu’ils apparaissent, les personnages peuvent jouir d’une identité fantaisiste et plaisante : ainsi “le déséquilibriste”, “l’illogicien”, “le vivant malgré lui”, “l’acteur fuyant autrui” ; toutefois, leurs interventions restent impersonnelles et ne conduisent pas à leur attribuer un caractère. Dès qu’une scène développe une trame narrative, elle est soumise à une rupture, ce qui donne le sentiment de n’avoir affaire qu’à des ébauches, des fragments, des tentatives sans résolutions. Si quelques annonces ont une tonalité prophétique, ce sont surtout potentialités, présupposés, connotations et détonations langagières qui manifestent la verve inépuisable de l’auteur.
Si le propos apparaît délibérément redondant, voire incantatoire, ou même un peu verbeux, il est constitué de dévotions énonciatives, de célébrations lexicales et syntaxiques qui élaborent un cérémonial expressif, voué à la sacralisation du verbe ou, inversement, à une démythification du langage. Ce protocole est ponctué d’ironie, on ne sait contre qui dirigée, d’un rire qui serait comme la respiration des échanges.
C’est une odyssée expressive qui se déploie en l’absence de toute cartographie. Par les circonvolutions du verbe, il s’agit de produire une dénaturation du sens. Novarina entend réaliser sur scène une unité organique propre à destituer toutes les instances fondatrices de leurs prétentions ; l’intention métaphysique se résout le plus souvent en apophtegmes pataphysiques.
On interroge le langage dans son déploiement, récusant tout discours au profit de la parole. Certes, renverser les énoncés au moyen de l’expression interroge sur la valeur du renversement. Mais cette subversion ne se traduit jamais en inversion ; elle n’est qu’exploration et digression à vocation ludique et festive.
christophe giolito
Les personnages de la pensée
texte, peinture et mise en scène Valère Novarina
avec Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel Le Lièvre, Sylvain Levitte, Liza Alegria Ndikita, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci et les musiciens Mathias Lévy et Christian Paccoud.
Collaboration artistique Céline Schaeffer ; musique Christian Paccoud ; lumières Joël Hourbeigt ; scénographie Emmanuel Clolus ; dramaturgie Pascal Omhovère avec Adelaïde Pralon et Isabelle Babin ; costumes et maquillages Charlotte Villermet assistée de Corentine Quesniaux ; réalisation costumes Nelly Graillot et l’atelier costumes de La Colline ; direction des choeurs Armelle Dumoulin ; assistante de l’auteur Laura Caron ; répétiteur Loman Masmejean ; l’Ouvrier du drame Richard Pierre ; régie plateau Elie Hourbeigt.
À la Colline, création au Grand Théâtre du 7 au 26 novembre 2023
du mardi au samedi à 19h30 et dimanche à 15h30 relâche dimanche 12 novembre
durée 3h30 entracte inclus 01 44 62 52 52
Production L’Union des contraires coproduction La Colline – théâtre national, Théâtre National Populaire – Villeurbanne, Avec le soutien de la SPEDIDAM La Compagnie l’Union des Contraires est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Île-de-France. Remerciements à Aurélia Ivan et à la Collection de l’Art Brut de Lausanne.
Les Personnages de la pensée est paru le 7 novembre aux Éditions P.O.L.
Tournée : du 23 au 27 janvier 2024 au Théâtre National Populaire – Villeurbanne ; le 30 janvier 2024 à La Maison des Arts du Léman Thonon-Évian-Publier.