Une stylisation précieuse et fastidieuse
La toile qui est tendue devant le public commence à s’animer. Deux têtes de clowns tristes passent à travers. Le poème qui ouvre la pièce est lu sur une musique progressive ; peu à peu les voix sont déformées. Marie-José Malis installe une atmosphère de bricolage et d’improvisation : on voit le plateau dépouillé, avec tous ses éléments techniques, au milieu duquel semblent errer les habitants du lieu, en costumes improbables, ressemblant à des riches déchus, bardés de loques précieuses mais mal entretenues.
Des adresses au public semblent avoir pour objet de fragiliser la représentation : le propos tel qu’il est présenté semble constituer une tentative d’expression de l’immanence. Des proclamations décontextualisées présentées sur un ton déclamatoire, que Marie-José Malis choisit parfois de tourner en dérision, faute de pouvoir les faire apparaître comme des orientations.
Le dernier texte de Pirandello interroge le statut de la représentation : jouer ou ne pas jouer, telle paraît être la question éminemment posée. Ainsi, les comédiens se demandent fréquemment ce qu’ils font. Il semble s’agir de brouiller les pistes : la représentation a lieu avec la lumière allumée dans la salle ; les variations de type de jeu interviennent souvent ; les acteurs s’assoient par moments au bord du plateau.
Pirandello a essayé de rompre avec la tradition au profit d’une démarche spéculative, un peu hermétique. Cette ratiocination lente, sans objet, prend souvent un aspect lancinant et itératif. Ainsi inverse-t-on les rôles : les hôtes finissent par jouer devant la troupe errante en mal de public.
Un propos sans assise, sans événements, qui conduit les personnages à questionner le caractère fictif des mondes dans lesquels nous vivons. Cette fable métaphysique cherche à promouvoir ou à déchoir l’enchantement du conte, par une constante mise en abyme.
Un exercice de style précieux, fragile, troublant, fastidieux aussi.
christophe giolito
Les Géants de la Montagne
de Luigi Pirandello
adaptation et mise en scène Marie-José Malis
© Nathanael Mergui
avec Pascal Batigne, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Anne-Sophie Mage, Isabel Oed, Laurent Prache, Mohammad Muzammal Hossain Soheb.
Stagiaires assistants à la mise en scène Mattei Moreno, Lucie Ouchet ; scénographie Jessy Ducatillon, Marie-José Malis, Adrien Marès ; contruction Moustafa Benyahia, Adrien Marès, David Gondal, Inès Nicolas ; lumière Jessy Ducatillon ; son Patrick Jammes ; régie plateau Adrien Marès ; costumes Pascal Batigne ; confection des costumes Pascal Batigne, Agathe Laemmel, Sophie Schaal. Remerciements à Antonin Fassio (Groupe T) ; à Luce Le Yannou.
A La Commune, centre dramatique national, 2 rue Édouard Poisson, 93300 Aubervilliers.
Du 8 au 19 février 2023, du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h, le dimanche à 16h. Durée 3h.
Production La Commune CDN d’Aubervilliers.