Anne Voeffray : défense et illustration
Prendre des photographies tient de la chasse et donc d’une certaine manière de faire preuve d’un instinct de tuer. Or, à l’inverse, même au sein d’images anthropométriques, Anne Voeffray crée une sur-vivance et une métamorphose de celles qui sont considérées comme des sorcières ou leurs succédanées.
Preuve que les cultures ancestrales ont la vie dure en particulier dans les villages alpins, en l’occurrence ceux de la Suisse, patrie de la photographe.
Après avoir été malaxés et projetés par Nicolas Wintsch et accompagnés par une improvisation musicale par le duo électronique Stade de Pierre Audétat et Christophe Calpini dans son exposition au Musée Jenisch, Vevey en mai 2022, les cents portraits sont réunis dans un livre pour offrir une archéologie d’un savoir particulier.
Et ce, non sans humour comme le prouvent les notes des raisons de “suspicions de sorcellerie” qui accompagnent nos semblables, nos sœurs (et quelques frères) que certains soupçonnent de noirceur eu égard à leurs pouvoirs supposés ou non.
Anne Voeffray laisse libre cours à nos croyances et nos interprétations face à celles pour lesquelles elle cultive une réelle empathie au nom de leur “pouvoir du dedans” mais sans épiloguer à son sujet. L’artiste se contente de le rapporter sobrement.
Se développe tout un jeu dans ce “fichier” qui invite à réviser insidieusement nos certitudes avec un certain sourire complice. Car les sorcières d’aujourd’hui gardent une action qu’on leur refuse. Elles luttent pourtant contre un certain conformisme et la rationalité. Et pour l’existence.
La photographe leur conserve attention et prévenance car, d’une certaine manière, elles participent humainement à un éloge de la vie contre la mort qu’on se donne ou qui nous est donnée — ce que, dans des temps plus anciens, on ne pouvait leur pardonner.
jean-paul gavard-perret
Anne Voeffray, Sorcières, Editions Anne Voeffray et BSN Press, Lausanne, novembre 2022, 80 p.