Quand des bras-cassés se déchaînent
Les trois frères Grosdidier occupent la ferme-auberge de leurs parents. Ils l’ont laissée à l’abandon. Seul Jean-Didier occupe un emploi à temps partiel. Jean-Mo, l’aîné, est un abruti doublé d’un fainéant. Le benjamin, Jean-Jean, est un poète-rêveur qui veut ouvrir un palace pour milliardaires sur une île privée.
Ils vivent près d’Épinal où se déroule un salon littéraire réputé. C’est en voyant, dans le journal, l’annonce de la participation de Samantha Sun-Lopez, une chanteuse américaine ayant fait de ses mémoires un best-seller, que Jean-Mo a l’idée géniale de l’enlever lorsqu’elle ira aux toilettes et réclamer une rançon.
Blanche Wagner, une jolie blonde vêtue de noir, tient la buvette du salon. Jean-Mo échange quelques mots avec elle en attendant l’arrivée de Samantha, une brune vêtue de rouge écarlate. Mais Jean-Mo est si bête qu’il se trompe et enlève, avec la complicité de ses frères, Blanche — non sans difficultés pour la chloroformer.
Lorsque celle-ci se réveille, dans la vieille ferme du Renard pendu, ce qu’elle découvre va changer son existence et celle de nombreuses personnes car…
Olivier Maulin propose une histoire dont il est très difficile d’imaginer le dénouement tant il multiplie les intrigues, les rebondissements et les coups de théâtre. C’est un livre qui trouve tout à fait sa place dans Borderline, cette nouvelle collection qui souhaite proposer des textes pour : “… des lecteurs avides de vigueur, de bonne santé, d’insolence et de liberté.“
Et c’est ce que l’on retrouve dans ce roman où l’auteur fait vivre une belle galerie de personnages tous plus singuliers les uns que les autres. Il leur fait exprimer des opinions qui pourront choquer la bien-pensance actuelle, de digressions peu communes sur ce qu’est devenu l’esprit de la République, sur l’immigration, la culture, le féminisme, les émeutes, les crimes contre des prêtres, des professeurs d’histoire….
Il prend pour décor principal le village de Saint-Pierre-aux-Puces, un bourg et quelques hameaux, dans une vallée vosgienne, dans ces milieux ruraux, ces cadres communautaires où la consanguinité fait presque autant de dégâts que dans les familles royales. C’était, cependant, un milieu industriel prospère jusqu’à la libération des échanges commerciaux et la recherche éperdue du gain.
Parmi la pléthore des protagonistes, il met en avant deux groupes de personnages rivaux, l’un autour des trois frères Grosdidier, l’autre autour de la famille Bader, une tribu de bas-du-front qui ne vivent que d’allocs, de rapines et d’un restaurant, tenu par la mère, au menu plus que douteux.
L’auteur rend hommage à deux grands auteurs de la littérature que des pseudos intellectuels qualifient de populaire en donnant un nom de rue à Pierre Pelot, en faisant état de la qualité d’écriture du fantastique G.-J. Arnaud. Il disserte, par le biais d’un romancier, d’un journaliste, sur le monde de l’écriture, des écrivains. Et c’est à la fois cocasse et d’une tristesse.
Ce roman est drôle, tonique, plein de trouvailles et de comparaisons délicieusement ironiques, voire carrément cyniques, un texte porté par un ton incisif et un style enlevé.
Un roman à découvrir pour un humour omniprésent, pour ses intrigues étonnantes, mais surtout pour sa galerie de protagonistes dont certains restent longtemps en mémoire.
serge perraud
Olivier Maulin, Le Temps des loups, Le cherche midi, coll. “Borderline”, septembre 2022, 340 p. — 15,00 €.