Giuliano Ladolfi, Au milieu du gué — Attestato

Les jeux sont-ils faits ? ou le Can­tos pour la fin des temps

Dès l’ouverture de son livre, Giu­liano Ladolfi met les pen­dules à l’heure et les points sur les “i” : “Il y a des périodes dans l’histoire de l’humanité dans les­quelles le temps semble accé­lé­rer le rythme et les contours du monde deviennent plus incer­tains, indé­chif­frables ; alors la pen­sée se révèle inca­pable de diri­ger l’histoire et chaque pré­dic­tion est contre­car­rée par une réa­lité obs­cure.“
En pas­sant de l’horizon du vil­lage à la mon­dia­li­sa­tion, le monde a perdu le nord. Et en quelques décen­nies tout se dilate et se délite. Et un tel “Can­tos” , en frô­lant de fait une forme de dys­to­pie, fait plus que le point sur une telle situation.

Les idéo­lo­gies éco­no­miques et poli­tiques du XIXe et XXème siècle ont certes trans­formé le monde mais si le XXème siècle don­nait déjà une idée des dégâts, le XXIe siècle s’annonce plus cata­clys­mique encore. Et le pre­mier poème lance déjà bien des bémols : “La terre est encore dure / à l’aube de la fête de Pâques / le vent fouette les plantes / Les ceri­siers perdent leurs fleurs / pen­dant que tu attends la cha­leur. / Qua­drille les mots /plats, insi­pides, page par page … /L’été ne reviendra-t-il pas encore cette année ?”.
Mais ce n’est plus seule­ment la peur des pay­sans crai­gnant une nou­velle sai­son qui nous hante. Le dan­ger est plus pro­fond et atteint la ville tout autant que les cam­pagnes. Le “nou­veau monde” n’a plus rien d’un grand soir sinon celui de l’Apocalypse qui se rapproche.

L’auteur tente un dia­logue et un nou­vel accro­chage de la parole avec l’intrusion de la réa­lité dans la poé­sie. Mais la société “empo­rio­cen­trique” est deve­nue la norme et le malaise pro­duit par le consu­mé­risme super­flu et outran­cier ren­verse non seule­ment la culture huma­niste mais le monde lui-même.
Certes, s’adressant à Sil­via, le “nar­ra­teur” veut se sou­ve­nir encore de la beauté de la vie. Tout semble aller à vau-l’eau. Mais Sil­via semble s’en tirer car “elle conserve un grand pri­vi­lège : / elle ne touche pas l’herbe avec ses chaus­sures ; / au contact des harpes elle se lance, / tourne dans les cou­leurs, /elle s’infiltre dans le par­fum / des abeilles de Mai.”

Un monde pre­mier vou­drait renaître. Mais les jeux ne sont-ils pas déjà faits ?
Ladolfi ne va pas jusque là, mais le sug­gère. Même s’il s’arrime au mys­tère de Sil­via, donc au mys­tère de la vie.

lire notre entre­tien avec l’auteur

jean-paul gavard-perret

Giu­liano Ladolfi, Au milieu du gué — Attes­tato, fran­çais et ita­lien, Tra­duit de l’italien par Giu­liano Ladolfi, Édi­tions Labo­rin­tus, Lille, 2021.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Echos d'Italie / Echi dell'Italia, En d'autres temps / En marge, Poésie

One Response to Giuliano Ladolfi, Au milieu du gué — Attestato

  1. Sonia Elvireanu

    Une lec­ture qui sait eclai­rer le lec­teur sur le present glo­ba­liste que nous vivons., l’incertitude du futur et
    la nos­tal­gie du passe.

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