Asiimwe Deborah Kawe, J’ai rendez-vous avec diEU

«  J’ai rendez-vous avec diEU »

Beau­coup de Fran­çais sans doute ignorent ou feignent d’ignorer que d’autres langues euro­péennes que la leur sont pré­sentes sur le conti­nent afri­cain tels que le por­tu­gais, et sur­tout l’anglais. Ves­tiges des empires colo­niaux. Les Ougan­dais pra­tiquent diverses langues afri­caines et ont deux langues offi­cielles l’anglais donc et le swa­hili.
Asiimwe Debo­rah témoigne de cette richesse lin­guis­tique dans sa pièce, J’ai rendez-vous avec diEU dont le texte fait sur­gir ici et là, la belle langue mys­té­rieuse du luganda au cœur de l’anglais.

Le théâtre de l’Odéon, lors de sa sai­son Africa, cher­chait des œuvres afri­caines de langue anglaise jus­te­ment, écrites par des femmes. J’ai rendez-vous avec diEU fait par­tie de la sélec­tion rete­nue. Son autrice occupe une place impor­tance sur la scène théâ­trale de son pays en tant que direc­trice du fes­ti­val inter­na­tio­nal de Kam­pala. Elle est éga­le­ment met­teur en scène, per­for­meuse.
Dans le cadre de la mai­son Antoine Vitez, Gisèle Joly en pro­pose en 2021, une tra­duc­tion fran­çaise qu’elle a voulu ryth­mée, tenant compte de l’écriture ori­gi­nelle en vers blancs, mar­quée par le retour à la ligne, qui brise volon­tai­re­ment la conti­nuité des répliques.

Le titre de la pièce : Appoint­ment With gOD met en avant une forme uni­ver­selle de ce rendez-vous, à la dif­fé­rence de sa ver­sion fran­çaise jouant sur un sujet à la pre­mière per­sonne qui sera en fait incarné, dans le texte, par plu­sieurs per­son­nages qui subi­ront chacun(e) l’épreuve de la demande de visa à l’ambassade amé­ri­caine en Ouganda : « la foule » dans la file d’attente, sorte de choeur antique, Kakye qui vou­drait rejoindre un congrès d’échanges inter­na­tio­naux, Achen qui cherche à renaître, Fatima, des hommes dont un danseur..

Qui est gOD, qui est diEU ? Gra­phie en minus­cules et minus­cules rap­pellent peut-être qu’écrire ce mot sus­cite un trai­te­ment par­ti­cu­lier, qui va jusqu’à son effa­ce­ment, par exemple dans le judaïsme. Res­pect à dis­tance, sacra­li­sa­tion, peur sans doute de ses châ­ti­ments, sou­mis­sion à ses Lois. Ici, il s’agit de ces hommes ou ces femmes, ces auto­ri­tés qui accordent ou refusent le visa pour péné­trer sur le ter­ri­toire amé­ri­cain.
Des blancs face à des noirs comme le montre la mise en voix réa­li­sée en Avi­gnon en 2021. Ils ont le des­tin de ces deman­deurs entre leurs mains et ces der­niers doivent se plier à des inter­ro­ga­toires ineptes, kaf­kaïens (le docu­ment fourni ou la photo ne sont jamais valables.).

L’ANNONCEUR voci­fère «  VOTRE ATTENTION » et les deux diEUx mal­mènent les can­di­dats au départ, pen­dant trois jours parce qu’il faut reten­ter sa chance à plu­sieurs reprises. Assimwe Debo­rah Kawe dresse une satire impi­toyable de cette sélec­tion des émi­grants, ridi­cu­li­sés, mépri­sés.
Par­ler par exemple de sa « sœur cou­sine » est pour l’Occident incom­pré­hen­sible, pro­pre­ment incon­ce­vable. Langue de mots dépour­vus de tout affect. Les choses tournent à l’absurde :

KAYE — J’ai indi­qué sur mon for­mu­laire que mon père est mort !… Il.. il ..il ne peut plus travailler.

DiEU 1 — Et pourquoi ?

KAKYE — Il est mort ( p. 52)”

D’autres voix occi­den­tales inter­fèrent. Il s’agit d’extraits de dis­cours en anglais des deux der­niers pré­si­dents amé­ri­cains, Obama et Trump, à pro­pos de la ques­tion jus­te­ment de l’émigration.
Obama d’abord en 2008 :
“I fought with you in the Senate for com­pre­hen­sive immi­gra­tion reform. And I will make it a top prio­rity in my first year as President.”

Trump, quant à lui en 2015, défend l’idée de la construc­tion d’un mur à la fron­tière mexi­caine. Enfin Obama à nou­veau, cette fois-ci en 2005, alors qu’il est séna­teur, dit :
“We sim­ply can­not allow people to pour into the U.S unde­tec­ted, undocumented…”

Ils sont sans doute tous deux les maîtres des diEUx des ser­vices de l’ambassade à Kam­pala. Obama lui-même est trahi par ses propres contra­dic­tions.
Il faut ruser pour obte­nir son visa, accep­ter par­fois l’inacceptable. Seule Kaye, pour qui la demande sera trois fois refu­sée, gar­dera sa dignité ; certes elle aura perdu 300 dol­lars mais comme elle le dit, à la fin de la pièce, elle n’est pas per­dante : «  Je pars la tête haute. Trou­ver ma voie. Me trou­ver moi ».

Parce qu’au fond, tout cela n’a été qu’un spec­tacle conster­nant, une bouf­fon­ne­rie, un texte de théâtre.
Ses der­niers mots seront : « mon spec­tacle est terminé ! »

lire un extrait

marie du crest

Asiimwe Debo­rah Kawe, J’ai rendez-vous avec diEU, tra­duit de l’anglais par Gisèle Joly, Edi­tions espaces 34, col­lec­tion Théâtre en tra­duc­tion, 2021, 103 p. — 15,00 €.

La pièce a été créée dans une uni­ver­sité américaine.

On peut retrou­ver en ligne, la mise en voix de la pièce (elle pré­sente des cou­pures dans le texte) réa­li­sée par RFI, dans le cadre de ça va, ça va le monde ! au der­nier fes­ti­val d’Avignon.

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