Une forme d’intuition éclairée
Sont rassemblés dans ce livre les entretiens et textes écrits par Jacqueline Risset sur La Divine Comédie. La traductrice a donné la première grande traduction de livre de Dante entre autres en se refusant d’abandonner la métrique de la
terza rima de Dante afin de créer une tresse continue et allègre. D’où l’effet de rapidité propice à une lecture encore inouïe.
Pour autant, Jacqueline Risset ne prétend pas avoir raison sur tout : “Chaque traduction est une histoire de sacrifices. Dans mon cas, j’ai sacrifié la couleur au rythme afin de mettre en relief l’idée de naissance continue du texte.”.
Plus qu’une autre toutefois, elle a su saisir ce lieu de poésie où soudain Dante déplaçait la langue comme d’ailleurs la traductrice est obligée de le pratiquer en sacrifiant forcément à la musique originale des scansions de La Divine Comédie.
Jacqueline Risset, proche de Tel Quel dès ses premiers essais, avait déjà tout compris de la modernité du poète. Et Rimbaud, Lautréamont, Sade, Artaud, Bataille deviennent des compagnons de route de Dante qui, comme eux et grâce à elle, sort du “purgatoire”. L’idée de mouvement de l’oeuvre, sa vitesse sont la marque de cette traduction qui, à l’inverse, fut des plus patientes pour mettre à nu la porosité de sa langue poétique.
Il existe là autant de dur labeur que — et et c’est essentiel — une forme d’intuition éclairée.
Jacqueline Risset a donc su faire abstraction de certains poncifs pour libérer le texte et surprendre l’instant de l’énergie de l’énonciation en son envol. Elle explique techniquement son approche. Parce qu’il ne possède pas la musicalité de l’italien, le français doit trouver des subterfuges que Risset découvrit paradoxalement dans son approche de Mallarmé dans la revue concurrente de Tel Quel : Change.
Mais elle rappelle — à côté de telles considérations — que “L’Enfer” est un prélude à Auschwitz comme La colonie pénitentiaire et Le procès de Kafka le furent. Et cette traduction permet de toucher à la modernité et l’énigme de la poésie de Dante qui retrouve l’écho qui lui était jusque là refusé. Et ce, même s’il existe toujours un ordre du sacrifice dans chaque traduction.
jean-paul gavard-perret
Jacqueline Risset, 33 écrits sur Dante, conçu et présenté par Jean-Pierre Ferrini & Sara Svolacchia, postface de Martin Rueff, Nous, Paris, 2021, 304 p. — 22,00 €.