A l’origine de ce livre publié dans la belle collection “Les sentiers de la création” chez Skira il y eut le désir émis par Ponge à Philippe Sollers d’ ‘écrire un pré : ” un pré entre bois (et rochers) et ruisseau (et rochers) “.
De quoi y procède l’écriture ? Ponge a placé en ouverture de son livre un paysage champêtre de Haute-Loire qui lui est familier, sur lequel on identifie un pré autour de la rivière du Lignon.
Une chose vue se trouve donc à l’origine d’un travail qui commença en automne 1960 au Chambon-sur-Lignon et plus exactement à Chantegrenouille près de la rivière bordée d’arbres et de rochers.
Mais cette ronde autour de l’objet va durer quatre ans et sera publiée en 1967.
Dans sa quête de l’objet, le pré devient un ensemble d’images : “mille aiguillées de fil vert”, “tapis de repos, “plateau de repas”. Ou encore et entre autres ” le marchable, l’ambulable, le piétinable “, ou, plus simplement, ” une vérité qui soit verte “. Mais un tel objet est aussi pour le poète le fruit d’une racine latine, ” pratum ” à savoir ce qui est prêt, paré , préparé et dans ce cas par nature, pour le repos, et pour la vie.
Dans la collection “Les sentiers de la création” “Le pré” est devenu un lieu d’élection et d’aventure du lieu et du poème qu’il induit et poème dont la version originale fut publiée en 1964 dans la revue Tel Quel (n° 18) et sera repris dans le ” Nouveau Recueil. Mais il est aussi accompagné des notes et ses ébauches.
Si bien que ce pré ne cesse de bouger. Il est moins carré qu’espace de verdure ouvert à un travail exceptionnel d’écriture.
Et ce, à partir des deux termes mêmes du titre de la collection, leur sens et leur étymologie. Ils fondent ce que Ponge appela sa “méthode créative”. Elle va devenir dans ce livre un premier exemple d’une analyse poétique et génétique. L’auteur a obtenu de l’éditeur, Albert Skira, qu’il intègre dans le volume la reproduction, en fac-similé, de brouillons manuscrits, émaillés de soulignements, ratures, notes marginales plus ou moins déchiffrables, parfois.
Ces états primitifs du texte coexistent avec des mises au propre dactylographiées et avec le poème
La perfection supposée du poème final se voit donc confrontée à ce qui l’a préparée. Et l’auteur fait émerger par sa propre pratique une nouvelle branche des études littéraires, la génétique textuelle que le livre de Jean Bellemin-Noël, Le texte et l’avant-texte, théorisera en 1972.
Dans cet ensemble, Ponge goûte un lieu où le plaisir reste de ne rien faire et de s’abandonner à sa seule présence dans une sorte de polarisation à l’être plus qu’à l’essence des choses. Cela par la force de l’attente auquel l’auteur se soumet pour l’accomplissement de son existence par l’intensification au lieu et au moment. C’est, écrit-il “ne rien faire qu’à attendre sa déclaration particulière.” Afin ensuite de la fixer pour l’attester et la conserver “pour l’éternité” et d’y avoir recours si besoin lorsque l’existence devient plus difficile
Dans ce but, l’auteur a su prendre le temps pour aller jusqu’à un dépouillement existentiel et poétique. L’objectif était de “ne rien faire qu’écrire lentement noir sur blanc, très lentement, attentivement, très noir sur très blanc.” Et Ponge de préciser “Je me suis allongé aux côtés des êtres et des choses la plume à la main, et mon écritoire (une page blanche) sur les genoux.”.
Cet exercice devient l’exercice absolu : “J’ai écrit, cela a été publié, j’ai vécu. /J’ai écrit. Ils ont vécu, j’ai vécu.” Que demander de plus ?
jean-paul gavard-perret
Francis Ponge, La fabrique du pré, Gallimard, collection Blanche, février 2021, 144 p.