Jonathan Coe, James Stewart, une biographie de l’Amérique

Héros de pré­di­lec­tion chez Capra et Hit­chock, Lubitsch et Cukor, incon­tour­nable cow-boy fleg­ma­tique chez Ford et Mann, Ste­wart fut le Mon­sieur Décence d’Hollywood

Le titre peut sur­prendre, qui met sur le même plan un acteur, fut-il célèbre et doué, et un pays entier, mais c’est que Jimmy Ste­wart (1908–1997) incarne pour beau­coup la quin­tes­sence de l’idéal amé­ri­cain. C’est en tout cas l’angle d’attaque choisi par Jona­than Coe, plus connu pour ses romans (Tes­ta­ment à l’anglaise, La mai­son du som­meil, Bien­ve­nue au Club) et dont on apprend ici qu’il fut d’abord cri­tique de cinéma, qu’il se consa­cra à plu­sieurs mono­gra­phies — dont celle-ci publiée à l’origine en 1994 — avant de s’adonner au seul art roma­nesque. Cette réédi­tion par les Edi­tions Cahiers du Cinéma per­met donc tout à la fois de reve­nir sur la fabu­leuse car­rière de Ste­wart et d’avoir accès à une part de l’imaginaire de Coe, nourri par le 7e art pen­dant longtemps.

Si l’avant-propos où Marie-Anne Gue­rin ques­tionne Jona­than Coe sur ses rap­ports avec le cinéma n’offre pas grand chose à se mettre sous la dent, en revanche la lec­ture des pages consa­crées par Coe aux films les plus mar­quants de l’acteur de l’Age d’or du cinéma hol­ly­woo­dien pro­posent de nom­breuses pistes de réflexion, notam­ment sur les ” valeurs ” amé­ri­caines cris­tal­li­sées par/sur l’écran. Même s’il s’agit ici plus d’une fil­mo­gra­phie que d’une bio­gra­phie nous ouvrant à la vie pri­vée de Ste­wart à pro­pre­ment par­ler, Coe connaît mille et un détails pour rendre moins lisse qu’on s’y atten­dait ce por­trait de celui qui incarna, selon cer­tains cri­tiques l’acteur le plus com­plet, le plus cré­dible et le plus aimé en Amé­rique. Ainsi de Mr Smith au Sénat, La Vie est belle, The Shop Around the Cor­ner, Indis­cré­tionsVer­tigo, L’Homme qui tua Liberty Valance, Win­ches­ter 73, L’homme de la plaine à Fenêtre sur cour, apprend-on com­ment Ste­wart, bien­tôt le pro­to­type fait homme de idéa­liste et du naïf, tou­jours prêt défendre la liberté, devint par hasard acteur, au théâtre - dans la troupe des Uni­ver­sity Players aux côtés d’autres futures gloires du cinéma US : Mar­ga­ret Sul­la­van et Henry Fonda - puis au cinéma, quand il se des­ti­nait plu­tôt à l’architecture sur le cam­pus de Princeton.

Déjà le beau gosse patriote por­tait sur lui un mélange d’élégance et de séduc­tion innées qui n’étaient pas fonc­tion que de ses cos­tumes croi­sés ou de son cha­peau mou années 40. Héros de pré­di­lec­tion, timide et dis­cret, chez Capra et Hit­chock, mais aussi Lubitsch et Cukor, incon­tour­nable cow-boy fleg­ma­tique chez John Ford et Anthony Mann, Ste­wart, par ailleurs com­bat­tant valeu­reux pen­dant la seconde guerre mon­diale et céli­ba­taire endurci, por­tera jusqu’au bout cette image d’intégrité répu­bli­caine incor­rup­tible. Lui qu’on appela ” Mon­sieur Décence d’Hollywood “… Sa car­rière (73 films) tout en méandres au sein de l’industrie du cinéma des grands stu­dios fut pour­tant plus tor­tueuse qu’on l’eût cru (elle doit beau­coup d’ailleurs à cer­tain lapin Har­vey flan­quant l’alcoolique théâ­tral dont il prend les traits en 1952), et Coe rend compte avec une remar­quable éco­no­mie des ten­sions qui ani­mèrent James Ste­wart, sur­tout dans la période après-guerre, afin de retrou­ver puis conso­li­der sa place au soleil cinématographique.

Reste que cer­taines cri­tiques à l’emporte-pièce sur­prennent sous la plume de Coe, notam­ment l’impasse inter­pré­ta­tive dans laquelle le roman­cier anglais jette réso­lu­ment et sans ver­gogne La corde (1948) alors qu’il s’agit d’un des films les plus remar­quables de Sir Hitch. On com­prend mal ici pour­quoi Coe juge ce film ” déri­soire ” et ” sans teneur ” alors que Ste­wart tient au contraire dans The Rope avec Rup­pert Cadell - pro­fes­seur dont les théo­ries extrêmes poussent deux de ses anciens élèves à assas­si­ner l’un de leurs cama­rades au nom de l’élitisme d’une pré­ten­due ” race supé­rieure “ -, un des rôles les plus inté­res­sants et sub­ver­sifs de sa car­rière selon nous. Il n’importe. C’est bien en fili­grane une ” bio­gra­phie de l’Amérique “, une Amé­rique où le faible a encore des droits devant le fort, le pauvre devant le riche, que délivre cette visi­ta­tion des grands films de James Ste­wart, qui incite à rien moins qu’à se plon­ger dere­chef dans les nom­breux chefs-d’oeuvres aux­quels cet écha­las aux jambes inter­mi­nables prêta, comme per­sonne d’autre, sa sil­houette de soli­taire sur le qui-vive.

fre­de­ric grolleau

   
 

Jona­than Coe, James Ste­wart, une bio­gra­phie de l’Amérique, Cahiers du Cinéma, Col­lec­tion lit­té­raire, 2004, 192 p. — 20,00 €.

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