L’un(e) parle parce que l’autre vient de lui écrire. Et cela tourne vite à une conversation addictive.
Sans aller jusqu’à “l’entretien infini” chère à Blanchot, néanmoins la question du désir fait corps — mais de manière subtile.
Il est vrai que les deux émissaires sont psychiatres et psychanalystes . Si bien que, pour eux, croire que le “désir s’attrape par la queue” (Picasso) reste un peu court.
Pour le saisir, ce n’est pas seulement l’audace qui est nécessaire. Il faut à sa prise emprunter des chemins labyrinthiques. Les auteurs s’y emploient.
Il y a là des absorptions dans un certain noir et des effets brouillard. C’est sans doute l’idéal pour la “causerie des ombres” là où chacun “adresse” des sortes de conseils à l’autre. Rien pour autant d’un marivaudage dans ce jeu de “repons” tout en finesse.
Chacun à sa manière “efface la lettre / pour mieux / la rendre visible”. Le jeu est précis et à fleuret moucheté.
Exit les pangolins et les Notre-Dame en flammes. Nous sommes dans le lieu du lieu au sein de jours sorciers qui permettent aux deux auteurs de danser ensemble. Mais de loin.
C’est une manière de mettre du récit dans les histoires qui souvent — à ce qu’on dit — finissent mal.
Ici tout demeure bien plus doux qu’amer et les contes cruels sont effacés au profit d’une poésie où se dit l’imprononçable du désir — surtout le féminin.
Rien ne s’entrechoque mais coïncide et ce, même lorsque les deux correspondants restent dans leur angle.
Résumons : ici le désir ne fait pas naufrage, il fait son calendrier où Robinson Crusoë et Vendredi (les deux rôles n’étant pas définis) échafaudent d’audacieuses architectures dans le haut domaine de l’amour et de ce qu’il engage dans le corps et le coeur par le foudroiement poétique avec “un peu de sel / sur l’os du réel / Ou rien”.
A bon entendeur…
jean-paul gavard-perret
Marie-Philippe Deloche & Philippe Bouret, De si longtemps avant les mots, Editions unicité, coll. Le Vrai Lieu, 2020, 182 p. — 16,00 €.