Marc Dubord ne manque pas d’humour. Et il est reposant de découvrir un artiste qui ne s’occupe pas du qu’en dira-t-on — surtout à son égard. Oiseau de nuit ou de jour, il change aisément de plumes et de hauts bois.
Mais sous la viorne ironique se cache une sensibilité : il peut pleurer en regardant les films de Greenaway, ce qui est un gage de qualité. Il se hâte néanmoins de la passer à la trappe mais ses photographies l’infusent subrepticement.
“Photographe international de quartier”, celui qui fut sportif de haut niveau ne laisse pas de glace. Ses prises sont là pour en témoigner. Marc Dubord est tout compte fait à sa manière, comme son homonyme (- ou presque, Debord), un situationniste. Mais de ceux qui ne laissent personne sur les bords des patinoires ou des ateliers de prise.
Ignorant le sectarisme, il est un homme libre. Comme tous ceux qui fument la pipe et qui tiennent les femmes — quels que soient leur port et débords — pour les primitives du futur.
La dernière serie de Marc Debord est visible sur le dernier numéro de OpenEyz (septembre-octobre 2020)
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de vivre d’abord et l’envie de partager avec les autres, mais je suis plus un oiseau de nuit alors des fois voir souvent je me couche au petit matin plutôt que de me lever comme tout le monde, sans doute mon naturel provocateur ! Mais il m’arrive l’inverse de me lever tôt voire très tôt pour inverser les plaisirs et les rendus de vie.…et encore des fois il m’arrive de ne pas me coucher donc de ne pas me lever !
Un summum mais bon après je m’écroule et tout repend son chemin comme si de rien n’était ! Après tout on fait, ce qu’on veut …. !
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Beaucoup ont été réalisés, ou matérialisés par des actes forts, ceux qu’on n’oublie jamais et qui marquent à vie. La naissance de mon fils, l’accomplissement de ses objectifs mêmes tout petits …de tout petits riens qui font rêver quand on les a aux bouts des doigts le temps d’un instant fugace de jouissance, voire de décharge d’adrénaline.…
D’autres sont encore sûrement présents mais je ne me rappelle que rarement mes rêves et comme je ne dors pas trop (pensant que c’est une perte de temps), on va dire qu’ils sont courts et oubliés pour être vécus . Je m’oblige à faire plutôt qu’à rêver ! Maintenant …j’en ai sûrement encore des rêve d’enfant mais je pense les garder pour moi… aussi, hein non mais dis donc …t’es bien curieux ….et puis un rêve dans le genre je rêve de recevoir une médaille du président en slip ça fait un peu louche …. lol :
A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne renonce que rarement voire jamais …le sport de haut niveau m’a appris la persévérance et la ténacité …que tout peut basculer en une fraction de seconde à la toute fin avant le coup de sifflet ….donc renoncer, ben c’est pas ma came, pas ma voie, pas ma voix …. mais on va dire que j’ai renoncé à changer l’autre et que je module mes actions par l’acceptation de la différence quoiqu’il en coûte en déceptions, mais je tente toujours de comprendre, d’argumenter, de convaincre, de combattre, je me jette à corps perdu dans l’adversité avant de jeter l’éponge …ça me met quelquefois dans la position de celui qui coûte que coûte veut avoir raison ou imposer son avis mais j’assume.
Avec l’expérience, on apprend et on espère savoir et partager son vécu avec les autres pour faire du bien et se confectionner un entourage synchrone et empathique, le tout sans compter, sans quantifier et sans reproches.
On renonce pour un temps puis on reprend le combat autrement pour aboutir à ses objectifs autrement ! L’analyse et l’évaluation de ses erreurs, la remise en cause permet souvent de ne pas avoir renoncer mais de recommencer autrement !
D’où venez-vous ?
Je viens du Loir et Cher, je suis né à Blois et j’ai vécu une part de mon enfance et adolescence à Romorantin et Salbris, si c’est le géographique qui est demandé, donc je viens d’ailleurs pour les chtimi mais je suis dans le nord de la France depuis 30 ans passés. Certains disent que je ne suis pas d’ici parce que je reprends les fautes de français : souvent ça écorche mes oreilles ….mais je suis avant tout un terrien, je pense, pour les extra terrestres ! Et une sorte d’OVNI pour d’autres : tout dépend du Où se situe la personne qui pose la question ! Après, si la question est la filiation, ben je viens de l’union de ma mère et de mon père …en France, donc de ce pays aussi !
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un patrimoine génétique physique qui m’a fait tutoyer le haut niveau en sport sur des patins à glace avec une crosse pendant longtemps …..j’en ai fait mon métier et puis en devenant vieux je me suis résigné à faire autre chose. Une empathie forte envers les autres qui m’a fait aider en tant que travailleur social de nombreux laissés pour compte de la société pendant 25 ans . Une sensibilité forte, et une franchise familiale, et une personnalité forte je pense qui me font quelques fois des bafouilles de vie mais qui sont des atouts forts dans les relations vraies avec mon entourage.
J’ai reçu une éducation simple, mais efficace, un appareil photo de mon père, et un couteau de poche de mon grand-père, la gourmandise de ma grand-mère et le pragmatisme opérationnel de ma mère …bref, un gros patrimoine encombrant que je n’ai pas encore trop exploité les nuances dans la vie !
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le café et la pipe pour les addictions, et tous les instants qui défilent tous les jours où je n’oublie jamais le memento mori pour me délecter de chaque minute qui passe en étant vivant. Pas un mais des plaisirs, simples comme ils viennent ou construits pour en avoir de gros …l’onanisme physique ou intellectuel chaque jour pour bouffer la vie par tout les moments !
Qu’est-ce qui vous distingue des autres photographes ?
Rien, je suis un quidam comme un autre qui immortalise mes instants vécus avec ma vision et le partage avec les autres. Un de mes détracteur me disait un jour : alors t’es « un photographe international de quartier » ? ça me va comme un gant, lui ai-je répondu, je mettrai ça dans ma bio avec plaisir et délectation.
Pour lui, c’était une critique, pour moi un compliment, Se distinguer n’est pas un objectif pour moi, ce qui m’intéresse c’est d’être comme je veux, comme je suis et que ce que je raconte, immortalise, partage en photographie soit entendu un peu beaucoup ou passionnément …le reste ne m’intéresse pas ou peu (enfin je fais avec…on va dire.) International parce que mes images se vendent ou s’exposent à droite à gauche, et de quartier parce que je n’oublie pas les gens d’où qu’ils viennent …Je vends et ou je donne mon travail selon à qui il est destiné et selon la condition de la personne !
Enfin, je tente de ne pas trop donner quand même hein …ensuite, si je me distingue, c’est, je pense, parce que j’affirme ma photographie par une personnalisation et une patte personnelle (post-traitement ou sujet) que je ne rechigne pas à me mettre dans mon style et en danger dans ce que je fais .
Beaucoup de gens critiquent mes images mais qui n’est pas sujet à critique ? Je me rassure souvent en me disant que l’autre n’a pas perçu ou n’a pas la culture pour comprendre ou n’a pas fait l’effort …et je tente de faire mieux la fois suivante …et puis après tout ILS ont le droit de ne pas aimer ….aussi donc ce n’est pas grave, je ferai mieux la prochaine fois ….je lis d’ailleurs souvent des mots qui disent en substance : ah ben là j’aime ou POUHA c’est horrible…ou tout l’un ou tout l’autre, rarement d’entre deux.
L’important est ailleurs dans le pourquoi mais rarement les gens osent le dire …alors je continue, moi, à faire ; après, ce que les images provoquent est personnel à chaque spectateur. Et finalement ne nous regarde pas ! Donc, pour répondre à la question car il s’agit bien de ça, je ne me distingue pas, enfin je ne pense pas le faire, je ne cherche pas à le faire et je pense que c’est aux autres de répondre à cette question ! C’est un peu comme : es-tu un artiste ? …Ben, je ne sais pas moi, c’est aux autres de le dire, c’est eux qui savent !
Comment définiriez-vous votre approche de l’érotisme ?
Respectueuse des femmes tout d’abord, conforme à la réalité, à savoir large et éclectique, sans doute aussi un peu provocatrice en ces temps de censure, militante aussi car tout est possible en matière de sexualité d’érotisme et de relations humaines, enfin dépourvue de jugement ou de censure …tout est un sujet photographique pour moi …même si certains sujets sont borderline ou pourvoyeurs de polémiques…
L’érotisme est la base de notre fantasmagorie, de notre épanouissement personnel, social voire professionnel, donc la base de l’humain ! Tout est pour moi suggestif et abordé de manière mutante, alors j’emprunte plein de chemins : la suggestion, la transcription de la réalité pure, la mutation mentale, l’affirmation combattante ou militante, la provocation frontale ou perspicace, le déni, l’oubli volontaire et le mensonge …je triche, je triture, en utilisant les techniques …pures des fois, mixées d’autres fois …mon érotisme est visuel et photographique, argentico-numérico-polaroïdo-dessino peint ou inversement dans l’ordre que vous voudrez …complexe et chaotique, alambiqué, ou trituré, superposé ou gommé…mais franc et engagé !
Quelle est la première image qui vous interpella ?
La première est sans doute une image d’album de famille que ma grand-mère me détaillait en m’expliquant que tous les gens sur l’image et que je ne connaissais pas moi étaient ma famille. Des prénoms, des noms, des métiers et des personnes que je n’ai jamais rencontrées en réalité mais qui sont et restent mes racines !
À cette époque, je ne pensais jamais être photographe mais ça reste un élément marquant dans ma pratique aujourd’hui avec la collection d’images vernaculaires trouvées dans des braderies ou jetées par des gens. Je les retravaille et leur redonne une vie et tente qu’elles renaissent dans les têtes de spectateurs comme des éléments forts de leurs vies (à défaut d’avoir été gardées par les protagonistes primaires).
Et votre première lecture ?
Ma première lecture est toujours la suivante pour moi mais, pour répondre, je pense que la première aura été de la bande dessinée, j’ai toujours associé lecture et images, Bilal, Schuiten, Giraud /Moebius.… puis des livres forcement avec l’école mais dans mes choix de lectures je garde des standards que j’adore, “Le parfum” de Patrick Suskind, “Bourlinguer” de Blaise Cendrars, ou “L’atelier du peintre” de Patrick Grainville, “Le tumulte des flots” de Mishima aussi …je dirais que que mes premières lectures de ces livres sont des commencements à chaque fois, comme si la première lecture était toujours la plus active pour le changement de point de vue, la remise en cause ou l’affichage de ses avis …nourris de la remise en cause de ses certitudes !
Quelles musiques écoutez-vous ?
Toutes sortes, je suis assez éclectique dans mes goûts donc on va dire que ça va de la folia de Corelli à Charlélie Couture un ami et mon premier concert au printemps de Bourges quand j’étais adolescent ; ça va de Tuxedomoon ou la vague punk de ma jeunesse, new wave, cold wave, avec Cure et d ‘autres groupes mythiques du jazz aussi …mais pas que Cesaria Evora, Sade, Miossec, The Avener, Arno, Soley etc.…..des compilations comme Hotel Costes, ou Arthur H, Artmengo , Circé Deslandes, Emiliana Torrini en expérimental, Hauschka , mais y’a Imaniy, Thiefaine, BabX et bien d’autres encore !
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“L’atelier du peintre” de Patrick Grainville parce qu’il n’en faut qu’un !
Quel film vous fait pleurer ?
Aucun je pense, mais si je dois en choisir un, je dirais “The Pillow Book” de Peter Greenaway. Comme en musique, y’a des standards de films que j’adore souvent : science-fiction mais pas que “Blade Runner”, “Dune, “Le 5ème Elément”, et j’en passe ce serait bien trop long !
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois que si je ne mets pas mes lunettes je suis flou ! Ensuite, une enveloppe corporelle qui a bien changé mais qui me va bien finalement …et un exercice photographique potentiel facile quand je n’ai pas de comparse pour jouer … ! Autoportrait powwwwaaaaaaaaaaa
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À personne, j’ai même écrit à dieu pour lui dire vertement ma façon de penser ! Il n’a pas répondu ce con !
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Trifouillies-les-Oies il me semble : la ville mythe et réalité, le fourre-tout de où l’on voudrait aller, où l’on va et d’où on revient sans savoir vraiment ou l’on est !
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
HOU lala la colle, il y’en a tellement …certains disent Saudek, d’autres Witkin, pour les photographes, donc s’ils le disent souvent, c’est que ça doit être vrai, mais Rancinan, Coigny je pense aussi mais de loin hahahahah, et ensuite pour la peinture j’aimerais être proche de Dali Picasso, Franta, Rebeyrolle et Bacon. C’est difficile comme question parce que mon univers et ma boulimie d’images me font produire des tonnes de visuels depuis des années avec des axes qui vont de l’abstrait, au documentaire en passant par la pub, le surréalisme ou le nu. Alors, des artistes y’en a dans chaque registre de mes productions, des connus, des morts ou des vivants !
Alors, j’aurais bien dit d’emblée “joker” ! Parce que je ne pense pas me sentir proche mais je pense faire mon chemin seul sans me soucier de qui est proche ou de qui je me rapproche ! Enfin, c’est sans doute une utopie mais je pense que c’est ma voie ! Ne me sentir proche de personne et être moi et seulement moi !
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un petit mot de tous ! Un cadeau même microscopique, c’est le geste qui compte, l’attention … le temps passé par les autres pour soi est le plus beau cadeau, je pense, finalement …une pensée suffira ! Ce que je mérite car on est toujours content de recevoir ce que l’on doit … pas ce que l’on espère, mais ce qui nous est dévolu.
Que défendez-vous ?
Les causes perdues, la veuve et l’orphelin et la photographie, mais je défends une certaine idée de l’humanité, respectueuse et forte, perfectible et empirique, ma vision personnelle de ce monde imparfait qui m’entoure, je défends aussi les femmes et les rondeurs de la vie …les chaos et les tumultes de la vie, les gens importants et les oubliés, les sentiments nobles et les décadents …
Je défends tout et rien en images pour partager les points de vue, nourrir les débats, les échanges, des discussions et pour faire naître l’évolution … plutôt que les cloisons de pensée et d’idéologies restrictives qui amènent à l’irréversible.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je pense que Lacan oubliait que certains veulent mais ne peuvent pas, que donner de l’amour on ne sait jamais comment et à qui le donner ……et que, déjà, il faudrait définir ce qu’est l’amour, pour savoir si on en a, soi, pour les autres ! L’amour est sans doute un concept de sentiment qu’il est question de construire à deux avec un no man’s land commun dans lequel des échanges de toutes formes se composent, naissent et meurent et s’entrechoquent pour créer un espace d’amours (multiforme, kinesthésique, olfactif, métal, visuel, etc…). Je pense que Lacan s’interrogeait lui –ême sans doute ; de là a en faire une généralité par une maxime discutable…le gars aurait dû tourner sa langue sept fois dans sa bouche ….au lieu de généraliser.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?” et Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je ne sais pas qu’elle était la question et la réponse me paraît discutable et hasardeuse. Dire oui …est souvent bien trop facile et implique que l’on soit d’accord et je ne suis pas d’accord …sur tout …et surtout . Je pense que tu n’as rien oublié mais moi j’ai déjà oublié toutes mes réponses. Mon improvisation habituelle a dû me faire dire des conneries comme souvent mais, bon, j’assume …et si la dernière question était : « es tu d’accord avec tout ce que tu as dit ? » … je répondrais : ben NON, parce qu’à la fin je ne suis jamais d’accord avec moi-même quand je fais l’évaluation qualitative … après l’action !
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 14 septembre 2020.