Courte mais profonde réflexion sur le temps et la prédestination de l’homme, When we Went to See the End of the World raconte l’histoire de voyageurs expédiés, grâce à une agence spécialisée dans le time-travel façon Total Recall, à l’extrémité ultime du temps où chacun d’entre eux aura tout le loisir de contempler une Terre désolée et vide mais, à chaque fois, la vision de chacun sera différente de celle de l’autre.
Certains des convives oisifs réunis pour une soirée et racontant à qui mieux-mieux en une vingtaine de pages les spectacles de fin du monde auxquels ils ont assisté verront ainsi, lors des derniers soubresauts de la planète, pour certains une plage brouillardeuse où agonise un crabe, des déserts desséchés, pour d’autres de vastes forêts sauvages, les océans submergeant les continents ou encore, palme de la désolation offerte par ce voyage temporel de l’impossible, la Terre alors entièrement recouverte par la neige et la glace, les vestiges des édifices humains détruits par les assauts d’un nouvel Age Glaciaire.
L’intérêt de cette nouvelle publiée à l’origine en 1972 et qui paraît dans la collection Dyschroniques des éditions Le Passager clandestin, habituée à remettre à l’honneur des textes anciens de grands noms de la SF relatifs aux questions environnementales, politiques, sociales, ou économiques, est de mettre surtout en lumière moins les temps troublés à venir de la fin du monde que ceux, contemporains et infiniment plus dégradés, des protagonistes.
Rédigé dans le contexte de la Guerre du Vietnam, les membres de la haute société américaine qui se vantent d’un ton blasé mutuellement, lors de cette soirée « amicale », d’avoir testé le nouveau service de voyage vers la fin du monde surprennent de fait moins par la sorte de sous-marin temporel où ils ont pris place pendant trois heures pour assister à ce spectacle apocalpytique (aux nombreuses fins à géométrie variable à ce qu’il semble — “Et si c’était truqué ?” demande d’ailleurs l’un d’eux) que par leur indifférence totale et devant les forces de la Nature et aux catastrophes de leur propre époque – virus mutant, terrorisme nucléaire, assassinat chronique du président en place, attentats politiques, agitation sociale, émeutes meurtrières à Saint-Louis, crises sanitaires, tremblements de terre provoqués à San Francisco — qu’ils égrènent en flirtant ouvertement et en se comportant de manière immorale.
Même si l’on peut regretter que Silvelberg, le contemporain des célèbres Isaac Asimov, Philip K. Dick ou Arthur C. Clarke en reste à ce trop(e) de l’énumération qui n’implique pas assez le lecteur dans la prise de conscience et la responsabilité requises, l’effet de contraste joue à plein et, tout en signalant la mort du « sense of wonder », dénonce sans coup férir une société de l’entertenmaint généralisé, consommatrice et aveugle quant aux dérives d’un présent qui pourrait peut-être être sauvé si chacun regardait dans la bonne direction.
Car les terres dévastées devenues le dernier objet commercial d’une humanité en train de s’auto-dissoudre reflètent en vérité la cosa mentale, le paysage intérieur inexistant de chaque personne grisée par l’ivresse du show.
Et si, plutôt que de se bousculer pour en contempler les variantes diffractées, on faisait enfin quelque chose pour ne plus hâter ce saut consenti dans la grande catastrophe ? Au lecteur de méditer la formule de Guy Debord qui clôture le paratexte du recueil : “Nous ne voulons plus travailler au spectacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spectacle.” (Internationale situationniste, n°3, 1959).
Une réflexion à poursuivre à la suite de cette nouvelle par deux postfaces d’époque (une de Jean-Pierre Andrevon et une de Robert Silverberg, en miroir à la préface de mars 2020 du présent ouvrage évoquant les affres du Covid-19 : « Durant toute ma vie d’écrivain, j’ai essayé d’entrevoir l’avenir ; ce à quoi j’assiste aujourd’hui est tellement effrayant que l’avenir, je l’espère, apportera cette fois un démenti à ma vision de demain.» et), la biographie/bibliographie de l’auteur, la présentation des d’éléments de contexte ou les suggestions de lectures/ visionnages connexes proposés.
frederic grolleau
Robert Silverberg, Destination fin du monde, Le Passager clandestin, coll. “Dyschroniques”, juin 2020, 48 p. – 5,00 €.