Philip K . Dick, Paycheck et autres récits

Les indi­vi­dus n’ont plus aucun refuge de nos jours. Per­sonne pour les aider
Pris entre deux forces sans scru­pules, ce sont de simples pions sur le jeu des puis­sances éco­no­miques et politiques

C’est tou­jours un plai­sir que de lire du K. Dick. Un dou­lou­reux plai­sir. Comme d’autres récits de cet apôtres de la SF, Blade run­ner, Total recall ou Mino­rity Report, Pay­check vient d’être adapté au cinéma, par John Woo him­self. Triste conclu­sion : on ne parle plus de Pay­check que comme d’un film (de plus),occultant ainsi l’œuvre elle-même et les récits satel­li­taires (je néo­lo­gise, mea culpa) qui l’accompagnent et la consti­tuent.
C’est d’autant plus dom­mage que cette adap­ta­tion ciné­ma­to­gra­phique est loin de faire l’unanimité…

Ce recueil de textes du grand K. Dick écrits entre 1953 et 1974 aborde les thèmes chers à l’auteur : time-travel, anéan­tis­se­ment de l’individu par les trusts pla­né­taires, main­mise tota­li­taire de la tech­nique sur l’existant, irré­ver­sible perte du monde com­mun engen­drée par l’intérêt politico-économique entendu…
En ce sens, ran­ger les divers textes de ce flo­ri­lège (Nanny, Le monde de Jon, Petit déjeu­ner au cré­pus­cule, Une petite ville, Le père tru­qué, Là où il y a de l’hygiène…, Auto­fab etc.) sous l’égide de Pay­check (“La clause de salaire”) est une bonne chose tant Pay­check est emblé­ma­tique du sys­tème dickien pivo­tant autour d’une per­cep­tion autre du temps et de la réalité.

“La clause de salaire” met en avant un ingé­nieur en infor­ma­tique, Jen­nings, engagé par de grosses com­pa­gnies pour voler des secrets tech­no­lo­giques à des concur­rents. Pour qu’il ne divulgue pas les don­nées ainsi acquises, sa mémoire est arti­fi­ciel­le­ment effa­cée. Mais, cette fois-ci, il a accepté de tra­vailler pen­dant deux ans pour le compte de l’entrepreneur mil­liar­daire Rethrick, en deman­dant dans son contrat non pas « 50 000 cré­dits » mais une enve­loppe conte­nant des objets ano­dins, a priori sans aucune valeur mar­chande.
Qui plus est, à peine sorti de chez Rethrick, il est inter­pellé par la Police de sécu­rité de l’Etat. C’est uni­que­ment avec l’aide des quelques objets qu’il s’est remis à lui-même à tra­vers le temps et avec l’aide de la secré­taire de Rethrik, Kelly, que Jen­nings va devoir recons­ti­tuer le puzzle de sa mémoire défaillante…

Une for­mule de Pay­check résume à elle seule la situa­tion inte­nable où se trouvent cha­cun des pro­ta­go­nistes de ces ter­ribles nou­velles, dont l’aspect vision­naire et le pes­si­misme fon­cier sont incon­tes­tables : Les indi­vi­dus n’ont plus aucun refuge de nos jours. Per­sonne pour les aider. Pris entre deux forces sans scru­pules, ce sont de simples pions sur le jeu des puis­sances éco­no­miques et poli­tiques.
A noter en par­ti­cu­lier dans ce contexte noir cette mer­veille de luci­dité apo­ca­lyp­tique qu’est The Cro­mium fence (“Là où il y a de l’hygiène…”, 1955) oppo­sant dans un monde futu­riste où le jour­nal n’a plus qu’une page et où les appa­reils d’Etat — robo­ti­sés à outrance — sont rois le clan des Puristes à celui des Natu­ristes, les­quels ne laissent plus aucune place au libre arbitre et au refus d’adhérer du sujet…

Paycheck et autres récits est un pur chef d’œuvre, qu’on conseillera aux belles âmes ban­de­let­tées qui par­viennent tou­jours à s’endormir sans pro­blème le soir et qui ne remettent jamais en cause le cours du monde cra­pu­leux dont nous croyons qu’il est nôtre.

fre­de­ric grolleau 

Phi­lip K . Dick, Pay­check et autres récits, Gal­li­mard coll. “Folio-SF”, 2004, 489 p. — 6,10 €.

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