Auto-glose et logique subversive
Reprenant des éléments épars-disjoints laissés au fil,du temps, Valérie Rouzeau propose bien plus que ce qu’elle nomme des “miscellanées”. D’une matière accumulée en post-it et autres notes, l’auteure transforme ces hybrides en soupirs où l’éphéméride du temps prend une belle mouture de sauts, gambades et débordements.
Emerge au fil du temps non un appel à la nostalgie mais à l’existence sinon heureuse du moins dégagée des miasmes là où le rythme du voyage reste vital. Le tout à la bonne franquette avec un amoncellement (bienvenu) de citations qui nourrissent bien des dérives.
S’y rencontrent connus ou inconnus, un cheminot nommé John Giorno ou encore Carl Norac, Daniel Biga et bien d’autres dans un mélange de temps et de voix qui se superpose dans un story-telling décomplexé et vivifiant. A 52 ans, Valérie Rouzeau reste une jeune fille alerte. La scénographie ébouriffée de son livre comme sa gaieté le prouvent.
L’auteure fait l’aveu de ses tics et de ses tracs. Il y a de-ci de-là des remarques autant sur les formes pronominales (p. 39) que sur la réussite en monnaie trébuchante dans une langue qui redevient source pour exalter ce qui est et même ce qui n’est pas : à savoir les travaux que la créatrice — faussement indolente — laisse parfois sous son coude.
Dans ce livre en dérégulation, la logique subversive est de mise sans pour autant qu’apparaisse un désir obligé à la transgression. Valérie Rouzeau demeure libre et son livre reste un ravissement.
Le lecteur ne s’y ennuie jamais car cette “autobiographie” n’est qu’une interprétation d’une version originale supposée puisque tout ce qui est rapporté ne l’est pas sous le sceau de la vérité ou de ce qu’elle nomme “l’auto-glose”.
Tout tient par le pur plaisir de raconter là où même des livres en gestation sont ébauchés dans la chaste casserole d’une cigale-fourmi.
jean-paul gavard-perret
Valérie Rouzeau, Ephéméride, La Table Ronde, Paris, 2020, 144 p. — 16, 50 €.