Frédéric Beigbeder, L’homme qui pleure de rire / smiley

Fêtard mouillé

Le tra­vail du roman­cier ne consiste pas qu’à ali­gner les bana­li­tés de l’époque après avoir sniffé ou fumé des sub­stances pri­sées de l’intelligentsia pari­sienne, et on n’écrit pas pour régler des comptes.
Pour avoir méprisé ces règles d’or, Fré­dé­ric Beig­be­der a écrit un roman d’une insi­pi­dité rare.

Octave Parango, qui était le héros de 99 francs, roman qui avait d’autres qua­li­tés, est devenu chro­ni­queur heb­do­ma­daire à la radio France Publique. Pour ceux qui ne le sau­raient pas, c est un clone de France Inter : l’animatrice vedette s’appelle Laura Salomé (hahaha) et l’interviewer des chan­teuses à texte qui offi­cie à 9h10 Anto­nin Tar­pe­nac (re haha­haha).
Quant à l’animateur de la mati­nale, il s’appelle Dechar­donne. Là, atten­tion, c’est le seul pas­sage du roman qui oblige à réflé­chir : si on com­prend bien les méandres de la pen­sée sous acides beig­bé­die­rienne, c’est une allu­sion littéraire…

 Mais Parango est viré en direct un matin entre 8h57 et 8h59 pour n’avoir pas fait le tra­vail pour lequel il est payé. Ce qui est arrivé à Beig­be­der pour­tant rému­néré 100 € de la minute Alors, dégoûté qu’on puisse se pas­ser de son génie, il va tirer à vue sur son ex-employeur.
Lui qui se veut le prince de la déri­sion montre qu’il est seule­ment déri­soire et déballe son mépris pour les humo­ristes qui sévissent sur France Publique, notam­ment sa haine des Wal­lons qui viennent man­ger le pain des Français.

Que nombre des « humo­ristes » actuels ne soient ni drôles ni spi­ri­tuels, per­sonne ne sou­tien­dra le contraire. Mais le para­doxe est qu’en stig­ma­ti­sant la déri­sion propre à notre époque, Octave Parango s’en prend aux trois fonds de com­merce de Beig­be­der : la publi­cité, qui l’a rendu célèbre (même si on peut oublier l’admirable cam­pagne qu’il concocta pour conduire Robert Hue à l’Elysée) le fashion fas­cisme et l’ironie mor­dante de ce dandy cocaïné.
Beig­be­der qui s’attaque à tout cela, on a un peu l’impression d’entendre Sta­line dire du mal des antisémites.

Le prin­ci­pal défaut du livre au cours duquel Parango raconte la nuit blanche qui a pré­cédé sa chro­nique muette fatale est qu’il ne s’y passe rien : les nuits de Beig­be­der sont moins belles que nos jours… Le style est par­fois d’une pau­vreté déso­lante : « les titres des jour­naux font des calem­bours » (page 37). Le cha­pitre consa­cré à la tech­nique de la chro­nique humo­ris­tique (p. 115 à 122) devrait faire tordre de rire le lec­teur ; hélas, même indul­gent, celui-ci est consterné par tant de pla­ti­tudes.
Il faut cepen­dant res­ter serein : quelques lignes sont à sau­ver. D’abord (p. 54) : « Le vote blanc, c’est Ponce Pilate qui se lave les mains pen­dant qu’on cloue Jésus sur sa croix. Recon­naître l’importance du vote blanc, ce serait comme saluer l’apport cru­cial de Ponce Pilate au débat sur la cru­ci­fixion ». Comme c’est bien dit, on sent le souffle du publi­ci­taire qui vou­drait tra­vailler pour Mon­sieur Bri­co­lage : laver plus blanc, ache­ter une pierre ponce, décou­per du bois, vendre des clous et des marteaux.

Et sur­tout, au bas de la page 19 où Beig­be­der se résume avec une rare conci­sion et une luci­dité qu’il convient de saluer : « A moins que je ne sois juste un glan­deur ». Après avoir lu cette réflexion déci­sive, on peut se dis­pen­ser de lire les quelque 300 pages qui suivent, triste suc­ces­sion de pro­pos de café du com­merce, de boites de nuit, de putes et de strip-teaseuses tri­po­tées, et de bars bran­chés, à côté des­quels Radio Publique, même en grève contre des sup­pres­sions de postes (pas celui de Beig­be­der, faut-il l’espérer) fait quand même figure de havre d’intelligence.

Qu’est ce qui est le plus désho­no­rant ? Avoir écrit ce pen­sum ? Avoir une concep­tion assez mer­can­tile du métier d’éditeur pour le publier ?
Le lire peut-être. Qui lavera mon hon­neur de chro­ni­queur payé 0 €?

fabrice del dingo

Fré­dé­ric Beig­be­der, L’homme qui pleure de rire / smi­ley, édi­tions Gras­set, jan­vier 2020,   320 p. - 20,90 €. 

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Filed under On jette !, Romans

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