À l’ombre d’une jeune femme en fleurs
Emma Dusong est avide d’images intimistes mais d’un genre particulier. Elles englobent le monde dans une pluralité d’approches, une émotion et une intelligence qu’avaient repéré le jury de l’ENSBA qui lui avaient accordé son diplôme de fin d’études avec félicitations. Annette Messager, entre autres, avait saisi la capacité de la jeune plasticienne à émouvoir avec drôlerie et sensualité discrète là où les machines désirantes de certains de ses montages créent un cocon temporel et physique.
L’artiste fait partager alacrité et profondeur entre excavation et immersion. Elle ne se dérobe pas à la vanité des phénomènes et des événements périphériques qui l’entourent mais son œil sait repérer l’essentiel à retenir. Il n’existe pour elle dans ce qui participe à son environnement rien qui ne soit beau ou laid mais uniquement ce qui ennoblit la vie ou l’avilit. Et elle ne retient que le premier pan.
Elle établit des harmonies secrètes entre diverses perceptions, là où les référentiels se multiplient. Nulle routine dans ses travaux, rien qui ne dispose à la torpeur. Là où tout est calme s’inscrit un territoire sensible et cérémoniel dans une synthèse à la fois globale et particulière au sein de l’espace — ouvert et fermé — qu’Emma Dusong construit et investit. Tout dans l’oeuvre s’efforce de nous éveiller. La créatrice écarte toute frime et cherche une simplicité qui n’a rien de minimaliste. Elle ne se contente pas — comme Rimbaud — “d’asseoir la beauté sur ses genoux” : elle la fait avancer dans divers processus qui gomment nos acquis culturels.
Résonne le murmure du temps. L’auteure par ses auto-incarnations et ses montages crée des espaces qui deviennent la victoire sur lui et ses maîtres. L’énigme et l’énergie de l’enfance demeurent l’axe ou le centre de gravité des sensations et affects que les œuvres produisent. Soudain, entre l’idéal et le réel, entre l’imagination et la sensation une conjonction est possible.
Face aux désordres du monde, se traverse une étrange journée où, face ce qui est relié à l’enfance et qui est noté dans ses carnets (sortes de journaux intimes), voire à la scène primitive qui “fait” chacun de nous, la créatrice n’obéit qu’à une nécessité interne developpée dans des structures plastiques et sonores. Elles s’éloignent de la trivialité positive des enchaînements psychologisants et des faits.
L’objet de l’œuve est le symbole vivant de ce que l’auteure représente au présent. Il trouve son suc dans les racines de l’artiste. Reprenant les battants de vieux bureaux d’écoliers, des voix s’élèvent. Elles ne sont pas seulement induites par les cris en “repons” de la répression des magister qui imposeraient aux battants de se fermer.
Plus généralement, en alternance de visions nocturnes et diurnes, le regardeur entre dans un labyrinthe optique qu’il peut facilement s’annexer — même s’il n’existe pas ici de miroirs mais diverses chambres d’échos. L’extase quasi éthérée émerge des ténèbres dans l’exaltation d’un lieu qui devient “la maison de l’être” (Bachelard) où la créatrice fait office de vestale pudique
L’arithmétique plastique, la dissonance sonore ne représentent pas une simple extraction des phénomènes. L’excavation demeure différente. Elle n’est pas de l’ordre de l’obstination à incarner de l’idée mais, à l’inverse, de la volonté de la corrompre. Si elles ne peuvent plus se “panser”, les choses et les émotions peuvent non seulement se penser mais “s’imager” autrement.
Dès lors, contre “ l’affirmation qui fait de la vie sur terre un pensum maudit ” (Beckett), la créatrice accorde comme tâche à l’art non le “defunctus” cher à Schopenhauer mais un défi et une renaissance dans une œuvre supra-conductive qui ne cesse d’avancer.
jean-paul gavard-perret
Emma Dusong, La voix libre, Galerie les Filles du Calvaire, Rue des Filles du Calvaire, Paris, Paris, du 26 janvier au 23 février 2019.