Les couleur de la maladie
Les Editions Incertain Sens continuent à étonner – de manière émotionnelle et intelligente – par des livres qui interrogent le sens des images, de la représentation mais aussi de la vie. Celui de Denis Briand — récemment et trop tôt disparu – le prouve. Il fut conçu comme un pari sur l’existence de son créateur. Son aspect conceptuel s’appuie sur un réseau d’oppositions, de dérivations en fonction d’un nuancier de couleurs.
Le titre du livre est l’anagramme du lieu d’où provient sa substance ; le CHP Saint Grégoire. Il s’agit d’une collection de tickets de parking reproduits en fac-similés à partir des originaux conservés par l’auteur lorsqu’il se rendait régulièrement à l’hôpital entre le 2 avril et jusqu’au 16 novembre 2015.
Un nuancier de couleurs a été conçu à partir d’une sélection de soixante teintes (autant que de tickets), provenant de plus de cent cinquante photos — de ciels matinaux et de fleurs — échangées par Denis Briand avec sa sœur durant toute cette période douloureuse qui était encore nourrie d’espoir. Le système « logique » du livre est non chronologique mais chromatique. Apparemment, l’application des couleurs aux tickets est aléatoire comme les avancées ou les reculs de la maladie.
Faut-il voir dans le choix des couleurs les tonalités des divers états du patient ? Le créateur ne le dit pas ; néanmoins le lecteur peut trouver là une possibilité d’interprétation.
Sous forme abstraite autant que métaphorique, un drame existentiel se joue sous la forme la plus pudique et silencieuse qui soit. C’est ce qui donne à l’œuvre un caractère si particulier : parce que rien ne se « dit » ou presque, l’intensité est paradoxalement prégnante. Et l’émotion passe par un circuit qui semblait peu susceptible de produire un tel état.
jean-paul gavard-perret
Denis Briand, Géographe inscrit* 02.04.2015 — 16.11.2015, Rennes, Éditions incertain Sens / Frac Bretagne, 2018, 65 p. — 10,00 €.
