Eric Suchère, Symptômes (lectures transversales de l’art contemporain)

Unis vers Cythère

Dans sa cri­tique de l’art contem­po­rain (ce qui est tou­jours et a priori un jeu facile), Eric Suchère a le mérite de faire preuve d’un esprit de finesse – ce qui le ferait presque ren­trer dans le rang des baroques unis vers cythère comme disait Lacan. Un Cythère qui res­semble à un Eden plas­tique qui ne renonce pas plus à l’Enfer, qu’Eve à Adam. Plu­tôt que de jouer à l’épinglage, l’auteur montre ce qui se range sous cer­tains termes : ce qui oblige de plon­ger dans l’histoire de l’art de manière intel­li­gente et non à coup d’historiettes.
Trai­tant par exemple des mou­ve­ments qui reven­diquent « le rien le peu, le pas grand-chose » comme valeurs en soi, l’auteur remet les pen­dules à l’heure. Il remonte au besoin avec per­ti­nence le temps en rap­pe­lant à nos bons sou­ve­nirs le Supré­ma­tisme et Dada. Il montre ainsi que la com­plexité n’est pas seule­ment une affaire de chan­tour­ne­ments : Richard Long, Robert Mor­ris, Morandi, Tal Coat, de Kai­ser prouvent que le rien n’est pas affaire de pochades sauf à ceux qui rient de tout ce qu’ils ne prennent pas le temps d’essayer de comprendre.

Le cri­tique fait un détour pour l’expliciter par le recours aux poèmes blancs : il cite Royet-Journoud avec rai­son mais en oubliant cer­tains aînés dont André Du Bou­chet où la réduc­tion est plus pré­gnante. Insis­tant sur l’arte pov­vera, Suchère explique com­bien il ne faut pas faire un saut hâtif en le rédui­sant à une pau­vreté for­melle et concep­tuelle. Si bien que l’auteur révise les vieilles lunes pour rap­pe­ler que la macu­la­tion et la salis­sure res­tent les mots qu’ont tou­jours uti­li­sés les pour­fen­deurs des formes aux­quelles ils ne com­prennent rien.
Tra­vaillant avec des exemples pré­cis, Suchère per­met une « lec­ture » intel­li­gente mais aussi sen­so­rielle des pra­tiques du temps. Il rap­pelle aussi com­bien être de son temps n’est pas être dedans mais en avance sur lui. Ce qui amène bien des incom­pré­hen­sions. Les fai­seurs le savent. Plu­tôt qu’anticiper, et lorsqu’ils sont malins, ils reco­pient les pion­niers en revi­si­tant concepts et formes de manières plus accep­tables. C’est d’autant plus facile aujourd’hui où la mode appelle divers « vintages ».

L’auteur ne s’en pré­oc­cupe pas et met aussi en rap­port l’art et la poli­tique. Il explique que la pré­ten­due posi­tion de l’artiste de gauche face aux valeurs bour­geoises et capi­ta­listes est une plai­san­te­rie où se pié­gèrent jusqu’aux avant-gardes. Le Sur­réa­lisme en pre­mier. Sauf peut-être le Futu­risme qui en fut exempt. Mais l’affirmer en France revient à cou­rir le risque d’être taxé de calom­nia­teur. Ce qui ne fut jamais le cas lorsque, comme le rap­pelle Suchère, Sartre ou Ara­gon trai­taient Proust d’auteur bour­geois.
La ques­tion de l’engagement ne peut désor­mais plus pas­ser par des péti­tions théo­riques ou un action­nisme théâ­tral qui ne fit que sin­ger ce qui se pas­sait au Moyen Age avant le repré­sen­ta­tion des Mys­tères devant les cathé­drales. Une cer­taine poli­ti­sa­tion de l’art n’est que le clys­tère qui purge les bébés que nous sommes. L’auteur a le mérite de ne pas livrer une ordon­nance toute faite face à des struc­tures qui font de l’insoumission cultu­relle une pra­tique de recul dont l’idéologie est l’attrape-tout.

jean-paul gavard-perret

Eric Suchère,  Symp­tômes  (lec­tures trans­ver­sales de l’art contem­po­rain), L’Atelier contem­po­rain, Stras­bourg, 2018, 178 p. — 20,00 €.

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