Nicolas Fargues, Attache le cœur – Rentrée 2018

Nicolas Fargues, Attache le cœur – Rentrée 2018

Fargues relève le gant

Nous entraînant dans sa suite camerounaise, Nicolas Fargues en ses portraits parlés dénude bien des poses et de belles pensées humanistes. Il lave le blanc et montre combien ses salissures sont des taches sinon de naissance du moins culturelles. Il parle ce qui ne se dit pas : combien par exemple le noir est transparent à qui le méprise. L’instinct de supériorité est souvent en effet dans l’ADN du blanc « au même titre que sa couperose ou l’arête proéminente de son nez ». C’est ainsi que bien des « zoreilles » vivent.
Pour s’en tirer, les pauvres n’ont souvent que leur rire pour se soustraire à l’humiliation. Ils restent sans voix face à ceux à qui il est impossible de dire leur fait et devant lesquels il faut toujours faire des courbettes. Pour autant, sourd une révolte : elle n’éclate pas mais rive le clou à « tous ces tocards qui s’improvisent spécialistes » et qui viennent s’engraisser en suçant le ventre de mère Afrique.

Une telle saga construite de vignettes est hybride et débridée en présentant sous formes plus subtiles qu’il n’y paraît des violences nées d’échanges ou alliances méphitiques. Pas de poésie mais une radicalité. Elle permet une extension possible du domaine de la lutte même si elle demeure larvée. Sous le rire naît un frisson qui galope. Un « ferme ta bouche et crève » n’est jamais loin. Mais, pour autant, Fargues à l’intelligence de ne pas porter le fer si loin. Non qu’il s’arrête en route mais il préfère une narration faussement humble.
Le style ici ne triche pas. Sous sa feinte, il est redoutable et à charge en une comédie humaine bourrée de clins d’œil habiles. Les portraits ne sont pas glorieux mais ceux qui les rendent ainsi le sont encore moins. Ils plongent dans la pauvreté ceux et celles qu’ils prétendent sauver et guérir dans un néocolonialisme encore plus imbuvable que ceux des missionnaires d’antan.

Certes, il reste le soleil. Mais rien de neuf dessous. Reste que les portraits n’ont rien de caricaturaux. Le blanc est flytoxé et son modèle n’en sort pas grandi – et c’est peut dire. De telles silhouettes ne sont jamais de cire mais de circonstances au sein de l’éternité d’un style âpre, drôle, contextualisé qui ne triche pas avec ce qu’il montre. C’est là une réponse militante face à bien des cynismes sur le plan politique, social, ethnique et esthétique.

jean-paul gavard-perret

Nicolas Fargues, Attache le cœur, P.O.L éditions, Paris, 2018, 152 p. – 16,00 €. En librairie le 4 octobre.

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