Julie Fuster conserve une âme d’enfant mais fait preuve tout autant de maturité. Poreuse aux autres et aux paysages, elle entame un long parcours en mots et images. Refusant — en poésie comme dans ses œuvres plastiques — la simple narration, là où passe le vent elle le retourne. Elle déteint au besoin l’arête des falaises, sème des grains sur les glaciers et les terres dévastées. Sa vie se mesure à l’espace de ses déplacements, de ses quêtes et de ses rêves. Et la créatrice reste sensible à l’eau frêle des rosées comme aux vagues puissantes de l’océan.
En dehors du livre chroniqué ici et écrit avec Marie-Philippe Deloche, Julie Fuster a effectué deux expositions : « Le Port — The Harbour », Musée de la Photographie de Reykjavik, « Les îlots du quotidien — Everyday Island », Møllegades Boghandel, Copenhague.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’idée que le matin s’en va très vite. Et c’est mon moment préféré de la journée.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les avais enterrés et ils ont trouvé un moyen de ré-apparaitre d’eux-mêmes. Dans tous les domaines, j’ai l’impression que le passé me revient et que j’ai enfin la capacité de le trouver valable, de lui faire confiance. Je me rends compte que rien ne fait plus de sens que ce qui a automatiquement pris racine dans mon enfance, c’est-à-dire la lecture, l’écriture et une certaine forme de solitude.
A quoi avez-vous renoncé ?
A impressionner mon monde.
D’où venez-vous ?
Je vis à l’étranger depuis plusieurs années et on me pose cette question tous les jours. Au début c’était très douloureux d’y répondre, je lisais dans cette question une autre question, quelque chose comme “Pourquoi tu n’es pas comme nous ?”, “Qu’est ce que tu fais là ?” J’avais l’impression d’être un animal de foire. Maintenant je perçois davantage de curiosité et de tendresse dans cette question. Et je réponds toujours la même chose : Je viens des Alpes.
Par contre, je n’aime toujours pas la question qui suit, très souvent : “Mais pourquoi est-ce que tu es venue ici ?”.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’addiction à la lecture.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Regarder la mer, ou toute masse d’eau étendue.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains et artiste ?
Je ne sais pas. Je ne vois que ce qui est identique : une angoisse perpétuelle de ne pas être comprise, une lutte quotidienne pour trouver le temps et l’énergie d’écrire.
Comment définiriez-vous votre approche du lien photographie-poème ?
Mes photographies ne sont pas des illustrations de mes poèmes et je ne cherche à créer aucune narration par leur rapprochement. Ce sont deux media différents pour exprimer le même ressenti, ce sont les media d’une même recherche : formuler (dans le sens “donner une forme tangible”) des émotions qui sont intangibles tant qu’elles ne sont pas nommées. La poésie et la photographie sont les tentacules d’un même corps, qui tendent à exprimer les mêmes choses. Je pourrais tout aussi bien ajouter de la musique ou des plats cuisinés dans mes expositions, ils pourraient très bien être eux aussi l’expression d’une même recherche. Sauf que je passe déjà suffisamment de temps à écrire pour faire de la musique sérieusement et que je suis nulle en cuisine…
Quelle est la première image qui vous interpella ?
L’océan. J’ai un souvenir très précis de mon dégoût des algues marines et du soulagement que procure l’air marin.
Et votre première lecture ?
Le soir, mon père lisait une version très simplifiée de la légende arthurienne à mes frères et moi quand nous étions petits. Il y avait de belles illustrations et il faisait les voix. Je me rappelle que c’était dur de rester assis et de se taire, mais j’adorais la Fée Morgane.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je fonctionne par phases. Je peux écouter un seul album (voire une seule piste du même album) pendant plusieurs semaines jusqu’à ce que j’ai épuisé ma capacité d’écoute. En ce moment je suis obsédée par “Le Marquis de Florimont” de Virus, que j’ai découvert grâce à mon petit frère. C’est une chanson qui ne parle que d’addiction à l’alcool et je ne comprends pas ma fascination parce que c’est un problème que je n’ai pas.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
La trilogie napolitaine d’Elena Ferrante ainsi que toutes ses nouvelles. “Les huit montagnes” de Paolo Cognetti. Je l’ai déjà lu deux fois cette année.
Quel film vous fait pleurer ?
“In the mood for love” de Wong Kai Waï.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’ai eu de très gros problèmes pour me reconnaître moi-même dans le miroir pendant de nombreuses années. Je voyais quelqu’un qui n’était pas moi, c’était terrible. On peut difficilement s’aimer quand on n’a pas accès à soi-même. Il y à six ans j’ai changé de couleur de cheveux et j’avais enfin l’impression de me voir moi-même. Je me rappellerai toujours du soulagement.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Elena Ferrante. Parce qu’elle ne semble pas avoir très envie qu’on lui écrive. Et que je ne saurais pas quoi lui dire, à part “je t’aime”. A Alexandre Astier. Parce que je suis convaincue qu’il reçoit des centaines de lettres chaque jour, ça n’aurait pas beaucoup d’impact.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Akureyri, qui est la seconde plus grande ville d’Islande après Reykjavik.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Antonia Pozzi en poésie. Elena Ferrante, Paolo Cognetti, Haruki Murakami, Yasmina Reza et Jon Kalman Stefansson en fiction. Je suis sûre que j’oublie des gens. Je ne me sens pas proche d’eux, car il sont bien au-dessus de moi, mais je me reconnais dans tout ce qu’ils font.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une journée loin de tout et beaucoup de douceur.
Que défendez-vous ?
Mon espace mental. Ce n’est pas simple.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’espère vraiment qu’il se trompe. Je trouve ça atroce. De la part d’un poète j’aurais compris, mais venant d’un théoricien je trouve ça macabre.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Pareil. Je trouve ça triste. Ces deux phrases me rappellent seulement à quel point il est dur de trouver quelqu’un pour nous écouter et à quel point il est dur de parler, tout court. Et aussi qu’il y a toujours un type pour se lever et faire des phrases plutôt que de lutter pour plus d’humanité.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aucune idée ! Mais merci beaucoup.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 juin 2018.