Les îles grecques sont souvent écrites ou montrées comme un paradis et l’espace de la rêverie. Elles ramènent, dans leur bain de soleil, à ce que Kazantzakis – cité en exergue – nomme “l’immortelle nudité de la Grèce”. Mais ici la vision change : « Les îles attendent ». On ne sait pas à priori qui.
Le poète et l’artiste tentent de retrouver le plan de ces « orphelines de la mer » qui vont en appeler d’autres. Pour les atteindre, il arrive parfois que certains s’attachent à un mat. Est-ce la meilleure solution ?
Nul ne le sait avant d’aller jusque dans les « frottements d’élytres » et dans l’aridité sans fond des îles où fermentent « les ruades souterraines qui ont façonné les reliefs ». Chaque île devient un pétale déposé sur l’eau. A d’autres pétales plus mobiles d’y aborder pour soit venir, finir, rester ou se souvenir de ce dont nul ne possède la mémoire.
Mais c’est là un exercice de dépouillement minéral que les images de Limerat dessinent sobrement de lignes noires sur fond bistres et qui deviennent de fragiles incises pour dessiner le dos de l’île. S’ouvre finalement le chant des exilés qui les rejoignent.
Dès lors, « chaque île est un point de fuite pour qui n’a pas de perspectives ». Car depuis quelques années ceux qui y appareillent ne cultivent que sobrement l’espoir. Il reste hypothétique et il s’agit avant tout de tenir jusqu’au soleil couchant et plus avant dans le nocturne.
De seuil en seuil demeure néanmoins l’attente. Elle est, là, de toujours. Au milieu du flot et du flou des êtres humains et du monde. Chaque île reste donc celle d’un mystère. Pourquoi est-il inexprimable sous peine de le faire mourir ?
Les exilés y viennent pour ne pas sacrifier à la mort. Et les images de Limerat permettent de le faire « entendre » leur appel. Partager leur secret n’exige pas de garder le silence. Au contraire, il faut parler ce que notre société tente de biffer et d’oublier.
jean-paul gavard-perret
Alain Glykos & Francis Limerat, Egéennes, Marges en pages éditions, Pais, 2018, 140 p. — 25,00 €.