Alain Glykos & Francis Limerat, Egéennes

Pétales dépo­sés sur l’eau

Les îles grecques sont sou­vent écrites ou mon­trées comme un para­dis et l’espace de la rêve­rie. Elles ramènent, dans leur bain de soleil, à ce que Kazant­za­kis – cité en exergue – nomme “l’immortelle nudité de la Grèce”. Mais ici la vision change : « Les îles attendent ».  On ne sait pas à priori qui.
Le poète et l’artiste tentent de retrou­ver le plan de ces « orphe­lines de la mer » qui vont en appe­ler d’autres. Pour les atteindre, il arrive par­fois que cer­tains s’attachent à un mat. Est-ce la meilleure solution ?

Nul ne le sait avant d’aller jusque dans les « frot­te­ments d’élytres » et dans l’aridité sans fond des îles où fer­mentent « les ruades sou­ter­raines qui ont façonné les reliefs ». Chaque île devient un pétale déposé sur l’eau. A d’autres pétales plus mobiles d’y abor­der pour soit venir, finir, res­ter ou se sou­ve­nir de ce dont nul ne pos­sède la mémoire.
Mais c’est là un exer­cice de dépouille­ment miné­ral que les images de Lime­rat des­sinent sobre­ment de lignes noires sur fond bistres et qui deviennent de fra­giles incises pour des­si­ner le dos de l’île. S’ouvre fina­le­ment le chant des exi­lés qui les rejoignent.

Dès lors, « chaque île est un point de fuite pour qui n’a pas de pers­pec­tives ». Car depuis quelques années ceux qui y appa­reillent ne cultivent que sobre­ment l’espoir. Il reste hypo­thé­tique et il s’agit avant tout de tenir jusqu’au soleil cou­chant et plus avant dans le noc­turne.
De seuil en seuil demeure néan­moins l’attente. Elle est, là, de tou­jours. Au milieu du flot et du flou des êtres humains et du monde. Chaque île reste donc celle d’un mys­tère. Pour­quoi est-il inex­pri­mable sous peine de le faire mourir ?

Les exi­lés y viennent pour ne pas sacri­fier à la mort. Et les images de Lime­rat per­mettent de le faire « entendre » leur appel. Par­ta­ger leur secret n’exige pas de gar­der le silence. Au contraire,  il faut par­ler ce que notre société tente de bif­fer et d’oublier.

jean-paul gavard-perret

Alain Gly­kos & Fran­cis Lime­rat, Egéennes, Marges en pages édi­tions, Pais, 2018, 140 p. — 25,00 €.

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