Martel, cité médiévale quercynoise, compte dans ses murs quelques fêlés de la BD qui savent ce que festival veut dire…
Parmi les villes et villages de France qui ont su préserver — ou restaurer - leurs vieux édifices, beaucoup valorisent leur patrimoine en organisant, l’été venu, moult spectacles de reconstitutions historiques et quantités d’animations à même de distraire le touriste de passage tout en rapportant de substantiels revenus aux habitants du cru. D’autant que, depuis bien des années déjà, les plongées culturelles dans le passé lointain à travers fêtes en tout genre sont de plus en plus prisées. Dans le Lot, département intronisé de longue date “terre des merveilles” pour la beauté et la diversité de ses paysages autant que pour la richesse de son patrimoine historique, la ville de Martel, dont la fondation remonterait au XIe siècle, se distingue de la masse de ces municipalités à “Médiévales” ou autres “rencontres estivales” en organisant sous sa halle du XVIIIe siècle… un festival de bande dessinée, sous l’égide de quelques “fêlés de la BD” constitués en association. Et ce depuis douze ans !
Martel, ce n’est pas Angoulême. Soit. Il n’empêche que, hors des boulevards médiatiques institutionnalisés, ce salon intimiste porte haut, en toute convivialité, la fêlure bédéïque. Il attire un public plus nombreux d’une année sur l’autre, et son ambiance chaleureuse séduit autant les lecteurs que les auteurs, scénaristes et dessinateurs confondus. Reste que la gageure d’occuper sans faillir une juste position entre intimité conviviale et audience toujours plus large — facteur indispensable à la survie de la manifestation — risque d’être de plus en plus difficile à tenir…
Cette année, les auteurs invités étaient :
– Christian Boube, auteur du second cycle de la série L’Epée de cristal (Soleil) ;
– Philippe Bigotto, dessinateur d’un album scénarisé par Thierry Félix — présent lui aussi : La Roque de Saint-Christophe (Dolmen éditions) ;
– Ferry, scénariste belge de la série Le Gardien de la lance (Glénat, coll. “La Loge noire”) dont le tome 3, “Le Don de Salâh al-Din”, vient de paraître ;
– François, créateur de la famille Splogofpft,
– Paul Glaudel, auteur de la série Les Maîtres cartographes (Soleil) dont il livre le sixième tome ;
– Éric Lambert, dessinateur de la série Merlin (Soleil), scénarisée par Jean-Luc Istin et mise en couleur par Stambeco, qui en est aujoud’hui au cinquième tome, “Brendann le maudit”.
– Jérôme Lereculey qui, associé au scénariste David Chauvel, propose de découvir la saga du roi Arthur sous sa forme primitive (Delcourt) dans une série qui vient de s’enrichir d’un sixième volet, “Gereint”. Il dédicaçait également un inédit, L’Atlas du Seigneur des Anneaux ;
– Jean-Marie Michaud, dessinateur de la série La Dernière fée du pays d’Arvor scénarisée par Erik Arnoux (Glénat) qui compte aujourd’hui deux tomes, “Folianne” et “Ombreux” ;
– Ougen, dessinateur de presse ;
– Joël Polomski, pour ses albums Le Diable au gouffre de Padirac et Le Diable du pont Valentré ;
– Emmanuel Roudier, auteur de la série préhistorique Vo’hounâ (Soleil) ;
– Laurent Sieurac, auteur de la série Les Prophéties d’Elween (éditions Clair de lune) ;
– Éric Stoffel, scénariste des séries Arvandor (dessinée par Olivier Thomas, trois tomes) et Pandora (dessinée par Thomas Allart, quatre tomes), publiées aux éditions Vents d’Ouest ;
– Jean-Christophe Vergne, dessinateur de Fils d’Alienor (écrit par Eriamel, publié par les éditions Assor BD) et de Bossuet, l’Aigle de Meaux (éditions Grafouniages).
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Daniel Gutiez, bédéphile patenté, et Catherine Lamic sont responsables de la communication au sein de l’association Les Fêlés de la BD. Tous deux ont travaillé dans le domaine du tourisme, du patrimoine et de la culture. Installés à Martel depuis cinq ans, ils se sont très vite investis dans le développement de l’association et la dynamisation d’un festival qui tendait à s’endormir un peu sur ses lauriers de petite réunion amicale et festive — mais par trop ronronnante…
Au bout de cinq ans d’efforts et d’innovations successives, le festival de Martel a aujourd’hui une notoriété qui commence à franchir les limites de la région quercynoise — et lelitteraire.com est heureux d’apporter sa contribution à cette reconnaissance croissante en vous proposant de rencontrer Catherine et Daniel, deux passionnés qui ont à coeur de promouvoir une certaine idée du salon livresque… et le charme d’une cité médiévale accueillante, admirablement restaurée.
Comment est né le festival ?
Daniel Gutiez
Catherine et moi n’étions pas là à l’origine, mais tout a commencé sous l’impulsion d’un petit groupe d’amis fanas de bande dessinée au sein duquel se trouvait un dessinateur. Celui-ci a amené d’autres dessinateurs pour un festival proche d’un rendez-vous entre amis qui aimaient à se retrouver chaque été à Martel pour faire un peu la fête. Ça restait un “petit” festival — “petit” n’étant pas péjoratif, bien sûr…
Il y a cinq ans, donc, un nouveau bureau a été constitué pour diriger l’association, et nous avons essayé, dans un premier temps, de changer les dessinateurs invités chaque année — ce qui n’est pas évident parce que certains sont devenus des amis donc on les réinvite quand même (rires). Un autre exemple de nos initiatives pour redynamiser l’événement : l’affiche. Pendant plusieurs années, c’était la même qui était réutilisée. Maintenant, on essaie d’avoir chaque année un dessinateur différent pour signer l’affiche. Mais il y a une petite contrainte de réalisation : la Halle de Martel doit figurer dans le motif. Une année, la Halle a été transformée en vaisseau spatial en train de décoller ; cette année elle est incendiée par un dragon… Et ça fait deux ans que l’affiche est en couleurs ; ça a vraiment plus de pêche.
Catherine Lamic
On a aussi donné un thème…
Daniel Gutiez
Oui, un thème… pendant quelque temps on s’est cherchés, puis on s’est arrêtés sur le médiéval fantastique. On a pensé à le changer d’une année sur l’autre, mais comme ça marche plutôt bien, on va peut-être le garder. Quoique pour la prochaine édition du festival — la treizième — on va sans doute imaginer quelque chose d’un peu spécial. Et puis il ne faut pas lasser les gens…
Catherine Lamic
Et on voulait aussi que le cadre soit pleinement acteur du festival, pas seulement un décor. Martel est une ville médiévale, le festival est organisé sous la Halle… et donc ce thème médiéval s’est imposé comme ça, tout naturellement.
Le festival dure combien de temps ?
Daniel Gutiez
Une journée. Traditionnellement, il a lieu le dernier dimanche de juillet. Une seule journée peut sembler peu mais c’est beaucoup de travail pour une équipe uniquement composée de bénévoles.
En dehors des séances de dédicaces classiques, proposez-vous d’autres animations ?
Daniel Gutiez
Oui. En fait, on peut dire que le festival commence dès le samedi avec une exposition de planches originales. Jusqu’à présent, on demandait à plusieurs dessinateurs de nous prêter certaines de leurs planches. Mais cette année toutes les planches de l’expo étaient signées par un dessinateur unique, Jean-Marie Michaud — l’auteur de La Dernière fée du pays d’Arvor, paru chez Glénat. Le grand intérêt de l’expo est qu’elle montrait toutes les étapes de la réalisation de la planche, depuis l’esquisse jusqu’au travail achevé.
Nous avons, dans notre petite équipe, une mère de famille très adroite de ses doigts, c’est donc elle qui prend en charge le samedi matin les ateliers pour les enfants, qui se tiennent sur les boulevards, au niveau de la Maison de la Presse. Toute la journée de dimanche, on a un concours de dessin supervisé par cette même personne épaulée par d’autres bénévoles, des animations musicales qui ponctuent un peu la journée, et un jeu de piste. Enfin… cette année, pas de jeu de piste, on n’a pas eu le temps de l’organiser…
Le festival ouvre à 10 heures le dimanche matin. Les organisateurs arrivent dès 7h30 pour disposer les tables — comme ça se passe à l’extérieur on ne peut rien préparer la veille. Cette année, c’était impressionnant. Dès notre arrivée, il y avait déjà des gens qui attendaient pour les signatures ! Ça a commencé très fort, et ça n’a pas arrêté ! On a été obligés de “fermer” à midi pour que les dessinateurs puissent aller manger, et le soir, ça s’est terminé pour les derniers vers 19h30.
Quelle est la “physionomie” de la Halle, pendant cette journée dédiée à la BD ?
Catherine Lamic
Tout d’abord, il faut souligner que tout est gratuit ; l’accès aux animations est libre. La Halle de Martel est ouverte aux quatre vents et elle le reste : on ne la clôt pas. Les gens vont et viennent comme ils le veulent. Ensuite, on a choisi de ne pas avoir de point de vente central…
Daniel Gutiez
… chaque dessinateur a sa propre table, où il est entouré de ses albums. À tel point que parfois, on ne le voit plus beaucoup (rires). Cela permet un contact plus étroit entre les lecteurs et les auteurs, ce que les uns et les autres apprécient tout autant.
Catherine Lamic
Les gens peuvent s’approcher des dessinateurs, les regarder travailler, feuilleter les albums… Cette proximité permet la discussion, et aussi de mettre un visage sur l’album que l’on parcourt.
Quel est le public d’un festival comme celui-ci ? Essentiellement des amateurs éclairés ou bien des touristes de passage ?
Daniel Gutiez
Les deux ! Mais cette année, il semble que les choses aient un peu évolué. Je pense qu’on a eu plus de bédéphiles que de gens de passage.
Comment vous organisez-vous pour constituer les stocks d’albums ?
Daniel Gutiez
Les dessinateurs qui publient chez de petits éditeurs viennent avec leur propre stock d’albums. Pour les auteurs de maisons plus importantes, comme Soleil ou Glénat, (les deux principales qui sont venues cette année) c’est la Maison de la Presse — qui fait aussi librairie — qui commande les albums.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous vous heurtez pour la mise en place de ce festival ?
Daniel Gutiez
En fait, les difficultés sont de deux ordres. Il y a les “gros” auteurs qui ne se déplacent pas pour des manifestations de petite envergure comme la nôtre. Et puis ceux qui demandent maintenant à être payés pour venir signer.
Catherine Lamic
Or on n’a pas de budget suffisant pour inviter de très grosses têtes d’affiche.
Daniel Gutiez
Et c’est dommage car si cette tendance perdure, on va finir par se planter, tout simplement. Ce serait la fin du festival. Bien sûr, les auteurs comme ceux-là font venir du monde, mais la question est de savoir si on prend ou non le risque d’investir dans l’accueil d’auteurs de gros calibre qui ne vendront pas forcément beaucoup d’albums — leurs lecteurs viennent souvent avec leurs BD sous le bras — et qui, de plus, vont générer de longues files d’attente susceptibles de décourager les simples amateurs. Donc on cherche autre chose ; on essaie de trouver un juste milieu : une ou deux têtes d’affiche qui vont drainer du public, puis beaucoup de jeunes talents, ou des dessinateurs qui ont déjà réalisé deux ou trois très beaux albums mais ne sont pas encore très connus. Comme Sieurac, par exemple, auteur de la série intitulée Les Prophéties d’Elween, et qui en est à son quatrième album. On se tourne aussi vers les petits éditeurs : cette année, on a découvert Clair de Lune, une petite maison provençale, qui a de très bons auteurs et publie de très beaux albums.
Y a-t-il des éditeurs de bande dessinée dans la région ?
Daniel Gutiez
Sur le secteur, oui ; il y a Dolmen éditions, à Sarlat. Ils ont publié un ouvrage purement médiéval, Donjons cathares, qui se passe au XIIIe siècle, et un autre album traitant des guerres de religion, mais ils sont surtout spécialisés dans les albums historiques consacrés à la Dordogne : l’histoire de Sarlat, de La Roque-Gageac, l’histoire de la découverte des grottes de Lascaux… Leur diffusion est essentiellement régionale. Deux de leurs auteurs, Thierry Felix et Philippe Bigotto, sont des habitués du festival puisqu’ils sont présents à Martel depuis la première édition !
Le douzième festival vient de se terminer ; le compte à rebours pour le treizième va commencer quand ?
Daniel Gutiez
Incessamment sous peu ! On va avoir une première réunion fin septembre, je pense. En tout cas la date est d’ores et déjà fixée — le festival a toujours lieu le dernier dimanche de juillet. Ensuite, il nous faut décider si on fait quelque chose de spécial pour la treizième édition, si on change de thème ou pas, puis il nous faudra chercher les auteurs que l’on va inviter. Il nous faudra également trouver un dessinateur pour réaliser l’affiche. Enfin ce sera, comme chaque année, la course aux subventions…
Catherine Lamic
On tourne depuis cinq ans avec un budget qui reste grosso modo le même ; donc on sait à peu près combien on peut investir.
Comment vit l’association, en dehors du festival ?
Daniel Gutiez
Pour le moment, le festival est la seule activité de notre association. Mais on va réfléchir à d’autres animations pendant le reste de l’année pour faire parler de nous, et aussi pour récupérer un peu d’argent !
Catherine Lamic
On pense par exemple à un repas médiéval pour cet automne.
Vous pouvez contacter les Fêlés de la BD par e-mail :
bd.martel@club-internet.fr
Propos recueillis par isabelle roche le 6 août à Martel. |
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