Méfiez-vous de ce livre monde et monstre et de sa prétendue recension de plus ou moins vieux textes publiés jadis et naguère en revues et accompagnés d’inédits. Car l’auteur ne retient pas que l’essentiel. Bref, ce n’est pas un « best of » mais bien plus. « Résolument post– Dada comme son auteur » (précise très justement la quatrième de couverture), ce corpus est une jubilation neuronale à tous les étages et en allant autant du bas vers le haut qu’en sens inverse.
Non seulement l’auteur n’est en rien un « écrivain raté ordinaire » (idem), il devient le tueur – plus assassin que meurtrier en ayant prémédité son geste – de la chose littéraire. Il la laboure de sillons farceurs et zébrés qu’auront du mal à apprécier les regardeurs d’émissions télévisées littéraires où ne sont exhibées que des œuvres sans jarretelles et où les jupes sont tirées sur les genoux.
Bref, Esnault tranche dans le vif afin que ça jouisse en j’osasse mais aussi de partout. Si bien que, traitant d’ « enculés » certains écrivains (on laissera à la lectrice et au lecteur le plaisir de les découvrir), l’auteur n’a aucun souci à se faire quant à son identité sexuelle. Alors que tant d’érudits obsessionnels baignent dans leur ignorance crasse (hormis, mais parfois même pas, leur domaine de prédilection), Esnault nous tient par la barbichette à travers divers « transferts mégalos », « Parenthèses extatiques » où le tout-à-l’égo nous emporte de manière panoramique ou en siphon.
Le livre fourmille de pépites. Il croustille de Pepito (au chocolat ollé ollé) qui nourrissent l’esprit et secouent les côtes là où, par exemple, une secrétaire qui tire au flanc pour éviter d’aller au boulot annonce en moins d’une semaine qu’elle a perdu sa mère, que son père s’est suicidé (où le contraire) et qu’elle vient de perdre les eaux sans que personne n’eût remarqué qu’elle fût enceinte.
Que demander de plus à la littérature ? Tout. Il suffit de l’ouvrir à n’importe quelle page pour en être convaincu au sein de textes (dont un seul est chiant — quoi que… — mais dont l’auteur aime le titre). Quant à ceux-ci – et lorsqu’ils annoncent des livres non encore écrits –, ils disent, sinon tout, du moins l’essentiel : « La ville où j’ai crevé un pneu, le jour où mon amie m’a quitté parce que sexuellement j’étais devenu faiblard », « L’homme qui se suicidait toutes les heures », « Prends du LSD et rejoins moi dans le frigo ».
Preuve que, jusque dans le bidonnage, Esnault revient toujours à une méditation sur la mort et les fin ex-abrupto. Tout est en effet perdu d’avance. Pour preuve : afin de bien caresser un amour il faudrait plus de deux mille ans. Dès lors, la messe est dite : à quoi sert d’être humain sur ce royaume qui n’est qu’exil sauf à se gondoler à Venise ou ailleurs, en porosité avec les procès durs et les méthodes au logis d’Esnault ?
jean-paul gavard-perret
Christophe Esnault, Mordre l’essentiel, Tindbad Poésie, Editions Tindbad, Paris, 2018, 334 p. — 26,00 €. Sortie le 5 mai 2018.
Ouh! Voilà de la langue, ou je ne m’y connais pas! C’est dense et corrosif et cela parle de l’auteur, pas du chroniqueur!
Merci pour Tof.