Christophe Esnault, Mordre l’essentiel

Toutes dents dehors

Méfiez-vous de ce livre monde et monstre et de sa pré­ten­due recen­sion de plus ou moins vieux textes publiés jadis et naguère en revues et accom­pa­gnés d’inédits. Car l’auteur ne retient pas que l’essentiel. Bref, ce n’est pas un « best of » mais bien plus. « Réso­lu­ment post– Dada comme son auteur » (pré­cise très jus­te­ment la qua­trième de cou­ver­ture), ce cor­pus est une jubi­la­tion neu­ro­nale à tous les étages et en allant autant du bas vers le haut qu’en sens inverse.
Non seule­ment l’auteur n’est en rien un « écri­vain raté ordi­naire » (idem), il devient le tueur – plus assas­sin que meur­trier en ayant pré­mé­dité son geste – de la chose lit­té­raire. Il la laboure de sillons far­ceurs et zébrés qu’auront du mal à appré­cier les regar­deurs d’émissions télé­vi­sées lit­té­raires où ne sont exhi­bées que des œuvres sans jar­re­telles et où les jupes sont tirées sur les genoux.

Bref, Esnault tranche dans le vif afin que ça jouisse en j’osasse mais aussi de par­tout. Si bien que, trai­tant d’ « encu­lés » cer­tains écri­vains (on lais­sera à la lec­trice et au lec­teur le plai­sir de les décou­vrir), l’auteur n’a aucun souci à se faire quant à son iden­tité sexuelle. Alors que tant d’érudits obses­sion­nels baignent dans leur igno­rance crasse (hor­mis, mais par­fois même pas, leur domaine de pré­di­lec­tion), Esnault nous tient par la bar­bi­chette à tra­vers divers « trans­ferts méga­los », « Paren­thèses exta­tiques » où le tout-à-l’égo nous emporte de manière pano­ra­mique ou en siphon.
Le livre four­mille de pépites. Il crous­tille de Pepito (au cho­co­lat ollé ollé) qui nour­rissent l’esprit et secouent les côtes là où, par exemple, une secré­taire qui tire au flanc pour évi­ter d’aller au bou­lot annonce en moins d’une semaine qu’elle a perdu sa mère, que son père s’est sui­cidé (où le contraire) et qu’elle vient de perdre les eaux sans que per­sonne n’eût remar­qué qu’elle fût enceinte.

Que deman­der de plus à la lit­té­ra­ture ? Tout.  Il suf­fit de  l’ouvrir à n’importe quelle page pour en être convaincu au sein de textes (dont un seul est chiant — quoi que… — mais dont l’auteur aime le titre). Quant à ceux-ci – et lorsqu’ils annoncent des livres non encore écrits  –, ils disent, sinon tout, du moins l’essentiel : « La ville où j’ai crevé un pneu, le jour où mon amie m’a quitté parce que sexuel­le­ment j’étais devenu fai­blard », « L’homme qui se sui­ci­dait toutes les heures », « Prends du LSD et rejoins moi dans le frigo ».
Preuve que, jusque dans le bidon­nage, Esnault revient tou­jours à une médi­ta­tion sur la mort et les fin ex-abrupto. Tout est en effet perdu d’avance. Pour preuve : afin de bien cares­ser un amour il fau­drait plus de deux mille ans. Dès lors, la messe est dite : à quoi sert d’être humain sur ce royaume qui n’est qu’exil sauf à se gon­do­ler à Venise ou ailleurs, en poro­sité avec les pro­cès durs et les méthodes au logis d’Esnault ?

jean-paul gavard-perret

Chris­tophe Esnault,  Mordre l’essentiel, Tind­bad Poé­sie, Edi­tions Tind­bad, Paris, 2018, 334 p. — 26,00 €. Sor­tie le 5 mai 2018.

1 Comment

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One Response to Christophe Esnault, Mordre l’essentiel

  1. tristan felix

    Ouh! Voilà de la langue, ou je ne m’y connais pas! C’est dense et cor­ro­sif et cela parle de l’auteur, pas du chro­ni­queur!
    Merci pour Tof.

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