Les aventures picaresques de trois vieux copains
À l’entreprise Gavan-Servier, pendant que le P-DG examine la maquette de l’agrandissement de l’usine, un biologiste angoissé arrive et présente un œuf de… magicienne.
Sophie et Antoine, son grand-père, rentrent de la tournée d’été du théâtre Le Loup en slip. Antoine a tenté de faire dire à Sophie le nom du père de Juliette, son arrière-petite-fille. Il a échoué et découvre, quand il fait état de son revers à La Chope, que ses amis avaient fait des paris. L’argent s’échange. C’est alors qu’il découvre le gros titre du journal local quant à l’installation d’une ZAD pour défendre le territoire où vivent des magiciennes dentelées, une espèce de sauterelles protégée par l’Europe et menacée par l’extension de Garan-Servier.
Entretemps, Sophie accumule les déconvenues. Sa camionnette tombe en panne et le garagiste est très pessimiste, le couvreur qui doit réparer son toit se décommande, comme son père qui aura du mal à trouver le temps de venir la voir…
Et la tension monte au village entre les tenants et les opposants à la ZAD. Débarque alors la bande à Pierrot, Ni dieu ni maître, pour soutenir les zadistes…
Si la sauterelle qui met en ébullition le petit monde des Vieux fourneaux est une magicienne, Wilfrid Lupano, pour sa part, est un magicien du scénario. À partir d’événements communs, pour ne pas dire anodins, il conçoit une intrigue solide, un récit prenant dans lequel il distille faits sociétaux et atmosphère humoristique. Il propose des dialogues pétillants, d’une grande finesse, avec des pointes sarcastiques quant à notre société, à nos attitudes. Il détaille ainsi l’installation d’une ZAD, il propose une explication rationnelle pour éclairer le fait qu’une entreprise du bâtiment ne tient jamais les délais. Cette réputation solide à été maintes et maintes fois vérifiée.
En veine de confidences, le scénariste lève le voile, dans cet album, sur les mystères relatifs à la paternité de Juliette, sur celle du véritable père de Sophie… Il donne les conséquences de la désertification des campagnes, dévoile les acrobaties financières des entreprises faisant tout pour échapper à l’impôt. Il décrit les luttes de pouvoirs dans une association locale, le tout avec un ton facétieux mais si pertinent. Avec cette série, il fait souffler un grand vent de liberté, un exemple de résistance à l’injustice, à la bêtise et prône cette valeur bien galvaudée qui est la solidarité.
La galerie des personnages est superbement construite, bien représentative d’un microcosme développé dans un cadre local.
Mais ce récit, ces réflexions, aussi bien menés soient-ils, n’auraient pas le même impact sans le dessin de Paul Cauuet qui réalise des “gueules” remarquables, des postures d’une belle véracité et qui sait rendre si visibles les sentiments, les émotions des différents protagonistes.
Avec Les Vieux fourneaux Wilfrid Lupano livre une belle histoire d’amitié et un regard profond, sous couvert d’humour, sur notre société et ses dérives. Une série qui doit figurer absolument dans toute bédéthèque digne de ce nom.
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario) & Paul Cauuet (dessin), Gom (couleurs), Les Vieux fourneaux — t.4 : La Magicienne, Dargaud, novembre 2017, 56 p. – 11,99 €.