Fargue disait de Levet qu’il « aimait les déguisements, la froideur, le flegme et la tendresse ». Ses poèmes le prouvent. Ils sont désinvoltes, insolents, vagabonds, pleins de surprises lointaines et devenues délicieusement surannées. L’auteur y anticipe parfois son existence : « J’aurai un fauteuil roulant « plein d’odeurs légères » /Que poussera lentement un valet bien stylé : /Un soleil doux vernira mes heures dernières, /Cet hiver, sur la Promenade des Anglais… ». S’y découvre une vie de farniente d’une société qui se délite et s’asphyxie l’elle-même.
L’auteur sait de quoi il en retourne : fils d’une famille de politiciens, né à Montbrison, il va Paris ; y vit une jeunesse de dandy avant de choisir une carrière de diplomate. Elle lui offre la possibilité d’épancher son désir de voyages et des paquebots. Henry Jean-Marie Levet vit en Inde, en Indochine, aux Philippines puis aux Canaries. Et ces « cartes postales » sont autant de photographies littéraires de ce « son » monde. Des comtesses suivent des boulevards qui portent leur nom. Le tout au sein de plaisirs mondains et snobs où se croisent consuls et vice-consuls.
Des vapeurs d’opium s’exhalent. La douceur est là mais la solitude reste la plus forte au sein des déliquescences apparentes et, plus loin, de maladies endémiques. L’auteur sait en quelques mots dynamiter son monde. La poésie, en caricaturant à peine, la détraque de manière subtile et incisive ses formes désuète. Il existe là une profonde déréliction. Le poète n’est dupe de rien.
Et sans aller jusqu’aux inaccessibles plis de l’ineffable, il évoque juste ce qui se matérialise dans la vacuité et l’amorphisme des jouisseurs privilégiés.
jean-paul gavard-perret
Henry Jean-Marie Levet, Cartes postales, Editions Unes Nice, 2018, 32 p. — 12,00 €.