Poursuivant ici l’exploration de la forme qu’il nomme « autobiographie d’un autre », Pierre Parlant crée paradoxalement une écriture de son intimité par double bande. Après sa dérive provençale des Courtes habitudes, Nietzsche à Nice, Ma durée Pontormo tourne autour de l’œuvre du peintre maniériste florentin du XVIème siècle Jacopo Carucci dit Pontormo.
La « narration » (mais peut-on l’intituler ainsi ?) casse les genres littéraires, de l’essai au journal en passant par la biographie, et le récit au profit de ce qui devient poésie au sens plein du terme. Autant par la rhétorique de Parlant que par sa manière de voir à partir du bref Diario (journal) du peintre. Cette entreprise passe aussi par un voyage (essentiel) en Toscane afin de contextualiser l’artiste et son œuvre. La traversée géographique glisse vers celle du temps à l’épreuve d’un regard dans un autre regard.
Apparemment, tout semble précis et fractal : « Sa vie durant, par conséquent, le peintre fit ce qu’il avait à faire. Ce pour quoi nul ne pouvait le remplacer. Il ratifia sans fausse honte le déroulé versicolore d’épisodes impensables sans lui, jamais vus, et par chacun reconnaissables. » Mais à lire le journal du peintre dans l’objectif de la tradition ancienne de la « copia verborum », le poète dérape car les mots de Pontorno le lâchent.
Dès lors, « dire » l’œuvre doit passer par une autre préhension et se « monter » par séquençages où le jeu entre le peintre et le poète instaure non un soliloque mais une sorte de dialogue avec le peintre comme avec le lecteur. En une telle histoire du regard, demeurent bien sûrs d’obligatoires balises. Celles du regard du visiteur dans le musée, dans les pages du catalogue. Et pour le sujet « Parlant » il s’agit de dire le regard, yeux ouverts, yeux fermés avant que la rencontre extra-temporelle se poursuive dans une durée géographique et une carte du temps dont l’Italie devient la matrice.
Pour subsumer le tout, le poète fait intervenir photographies, polices de caractère variées, notes de bas de page. Celles-ci ne sont pas là pour éclairer le texte mais le troubler en codicilles presque incongrus. Par eux et par le corpus du peintre, le poète propose un genre hybride et en rien avatar. Son livre est moins celui du regard que d’un regard en abyme ou en leurs successions au sein d’un tourbillon dramatique, insidieux où pointe l’ironie par une accumulation de révélations contradictoires vertigineuses.
Si l’on ajoute à cela, et au service d’une logique implacable, une écriture d’un raffinement inouï, on comprend qu’un tel livre est un grand livre. Les mots s’accumulent dans cette dérive labyrinthique sans jamais étouffer le lecteur. Au temps de l’auteur et du peintre de jadis succède le temps exclusif et inouï du verbe qui permet saillies et béances. S’y polit le fin mot plutôt que le mot fin. En art comme en poésie, il se peut qu’elle n’existe pas…
lire notre entretien avec l’auteur
jean-paul gavard-perret
Pierre Parlant, Ma durée Pontormo, Editions Nous, collection Via, 2017, 336 p. — 26,00 €.