Au sein du chœur des grands romanciers anglais classiques, Anthony Trollope ne jouit pas de la même aura que Defoe, Sterne, Thackeray ou Dickens. Il est pourtant un auteur prolixe et connut un grand succès justifié. Il fait preuve d’un sens critique acerbe, d’un don pour l‘aventure romanesque et un goût pour un humour capable de secouer postures et impostures. Son roman – grand classique en Angleterre — Les Tours de Barchester le prouve au plus haut point. La comédie du pouvoir et la lutte afin de le conserver y sont désossées avec toute la nécessaire perfidie qu’il convient.
L’ambition se nourrit d’une certaine idée de la politique et de la religion. Sabre et goupillon n’ont pour but que le seul profit de protagonistes douteux, empêtrés dans des conflits religieux, familiaux et claniques. Le secret domine : il se dit au dehors lorsque cela est utile. Mais l’intérêt commun reste une chimère : seul le désir de conquêtes pousse les héros à l’avant d’eux-mêmes. L’affection, l’amour troublent parfois les cartes mais c’est bien l’or et l’ordinaire des palais qui illuminent tout : rien ne s’en évade. Leurs signes secs, fébriles, dérisoires s’accumulent au fil des pages.
Seule la puissance semble un mot plein de lumière. Dès lors, il faut y accéder. Et ne plus le lâcher. Du moins tant que faire se peut. La gratitude n’est jamais augurale car l’intérêt commande. C’est vieux comme le monde et c’est pourquoi le livre de Trollope reste d’actualité troublante. Les mots n’y ont de valeur que s’ils incitent l’autre à plier et permettre aux vainqueurs de tenir perchés sur leurs divers fauteuils. Le romancier s’en amuse. Ses propres mots deviennent le creux des illusions que les héros caressent de leurs vœux. Même sous couvert de religion ils n’ont rien de pieux.
Pour décrire le pouvoir, Trollope n’a pas besoin de l’enfourcher. Il se contente d’aligner avec humour ses empreintes. Mais l’allègement par le comique n’est pas une manière d’acquiescer ou d’accorder un moindre quitus aux potentats de tout acabit. Commencé sous le signe ascendant de la puissance religieuse le livre en signe le refus. Et ceux qui le caressent s’en trouvent - et c’est un euphémisme — amoindris.
jean-paul gavard-perret
Anthony Trollope, Les Tours de Barchester, Edition d’Alain Jumeau, traduction de Christian Bérubé, Editions Gallimard, Folio Classique, Paris, 2017, 784 p. — 9 ‚80 €.