Peter Gizzi, Chansons du seuil

Quand l’ombre ren­contre la lumière

Il existe tou­jours chez Peter Gizzi une invi­ta­tion au voyage ou plu­tôt un empor­te­ment entre le grand et le petit, le tri­vial et la hau­teur, l’effroi et le ver­tige dans ce que l’autre donne et que l’homme n’est pas tou­jours capable de rece­voir. Gizzi n’est jamais sûr du sens mais il « com­prend la vague ». D’où ce mélange du trop brû­lant et du trop glacé qui emporte ces « chan­sons » qui n’en sont pas vrai­ment – du moins telles qu’on veut les entendre.
Le poète amé­ri­cain aime jouer avec les contrastes, les oppo­si­tions, les obs­tacles. Il aime jouer des parts d’ombres et de lumières, la clarté et son obs­tacle. Il cherche à déchif­frer son mys­tère, son oppres­sion et leur sou­ve­raine réa­lité pour lui-même comme pour les autres. Chaque texte devient un exer­cice qui ne laisse rien au repos, qui tente de sépa­rer les élé­ments contra­dic­toires puis de les réunir selon des orga­ni­sa­tions d’où naissent une nou­velle césure et une nou­velle union.

Gizzi reprend un tra­vail rupestre et tout autant de notre temps dans des lieux de déchar­ne­ment où le fil de la voix devient « lin » pour s’arrimer au monde — non for­cé­ment pour l’éclairer mais « faire un halo, faire / une ombre, dou­ter / cré­pus­cu­ler, éteindre / assour­dir ». Néan­moins, dans cet poé­sie d’ombre, l’éclat peut encore poindre et se mani­fes­ter dans une pénombre com­prise comme l’obscur délesté d’une par­tie de sa com­po­sante ou de sa matière. Dans ce demi jour sur­git une phy­sique simple et com­pli­quée : le clair sort de l’obscur et n’en finit pas d’y reve­nir. Dans cet “entre”, la lumière si elle n’est pas solaire demeure  sereine à tra­vers des pans ou des fonds noc­turnes.
Le noir et le blanc sont désar­ti­cu­lés, frag­men­tés. Mais en même temps l’ombre n’est jamais informe et inache­vée. Les masses qui l’affectent sont nom­breuses, chan­geantes et par­fois même dan­santes. Tou­te­fois, ce blanc comme ce noir s’opposent au mythe de la trans­pa­rence comme si ces deux « cou­leurs » res­taient incom­plètes et inache­vées. Cepen­dant,  l’ombre pas plus que la lumière ne sont informes : elles sont infor­mées par la monde tel qu’il est et par la façon dont Gizzi lui répond.

jean-paul gavard-perret

Peter Gizzi, Chan­sons du seuil, tra­duit par Sté­phane Bou­quet, Edi­tions Corti„ coll. « série amé­ri­caine »,  Paris, 2017, 82 p. — 16,00 €.

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