Pour le numéro zéro de la revue qu’ils avaient envie de lire, Nadine Agostini et François Bladier vont d’emblée droit au but. Ils demandent à des auteurs — aussi variés que proches d’eux et qu’ils aiment pour leurs écritures particulières et leurs renouvellements de la langue — quel sens accorder à ce mot valise de poésie. La question est lourde car le genre — que beaucoup de pseudo-faiseurs maltraitent le croyant léger — engage, plus que d’autres, la totalité du langage, la totalité du rapport de la langue à la tribu. Cette question ne va pas sans malentendus. D’où l’intérêt des réponses multiples présentes dans ce numéro. Pour éviter toute hiérarchie qualitative, les deux maîtres d’œuvres ont habilement choisi l’ordre alphabétique. D’Edith Azam à Véronique Vassiliou.
Or cet ordre apparemment neutre ne l’est pas. Plus on s’enfonce dans la lecture de l’opus, plus les contributions finissent en apothéose jusqu’à l’éloge vassilliesque final des « cerceurs » en eaux troubles, ceux qui comprennent que « la poésie n’est pas un mythe mais une anguille ». Juste avant, Pascal Poyet illustre en un texte « au carré », le « ce que c’est » de la poésie dont à défaut de donner la clé il propose la parenthèse et la reprise. Quant à Charles Pennequin, son « poète poisson » fait le lien entre l’art de la prise et l’anguille.
Loin de la théorisation, cet ensemble est un plaisir intelligent (ce n’est pas incompatible). Il dicte moins la forme exacte du poème qu’il ne rappelle combien celui-ci est un pressentiment. Il dicte le monde même, ou plutôt un état ou un dépôt de celui-ci lorsque l’écriture prend sa relève en détruisant le chant établi de la langue.
Loin des usages fonctionnels des mots, l’ordre de la prose du monde peut se trouver cassée sans pour autant monter en neige la prétendue magie du poème. Celui-ci fait ce qu’il peut pour maintenir l’état de veille en devenant l’espion dormant. C’est le plus dangereux car il parvient à donner du nommable à une part de l’innommable. Et ce n’est déjà pas si mal. « Je me serai même contenté de moins » avait dit Beckett qui en savait pas mal sur la question.
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jean-paul gavard-perret
Blad&Nad, BéBé n° 0, Dis moi c’est quoi la poésie ? , Blad&Nad, Marseille, 2016.
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