Entretien avec l’auteure de Radieuse — Une croisière en Adriatique :
Qu’est-ce qui vous fait lever tôt le matin ?
Ce que je vais écrire et dont je ne sais rien en ouvrant les yeux. Un sens aigu du devoir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ai-je rêvé ? De quoi ? D’amour, sûrement. Le rêve s’est métamorphosé en écriture comme interminable lettre d’amour au vaste monde.
À quoi avez-vous renoncé ?
Au divertissement.
D’où venez-vous ?
D’un cap. Du Finistère nord. De la mer d’Iroise. De la Côte des Légendes. Des grèves. Du ciel gris. Des brumes. Des vagues. De ce dont il faut se protéger et qu’il faut combattre en même temps. Des tourments.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un Himalaya de contradictions : la fantaisie, mâtinée de goût pour l’ascèse ; la mélancolie, mâtinée d’allégresse ; l’esprit d’opposition, mâtiné de gentillesse ; la spontanéité, mâtinée de patience ; un goût intempestif de la solitude noué à l’amour excessif des gens ; une anxiété mortifère nouée au scrupule. Une bonne plume. Les yeux verts.
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Le thé d’Assam, le matin. Du vin naturel au déjeuner. Le thé vert du Japon, l’après-midi. La soupe maison, le soir. Mon fauteuil sous la lampe, avec un bon livre. La chaîne Histoire, pour comprendre le monde. Trois minutes de Fashion TV pour sentir la mode et cesser de me prendre la tête.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Est-ce à moi de le dire ? Jean-Paul Rocher, feu mon éditeur, aimait en moi une manière de prendre les choses par le travers, il disait que j’étais un ovni. Mais je vous renvoie à la réponse plus haut : ma dot – que je fais fructifier vaille que vaille et du mieux que je peux, lequel n’est pas toujours fameux.
Comment définiriez-vous votre approche du voyage ?
Hm ! La montée à bord de l’arche de Noé… ou de la nef des fous.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Mers el-Kebir, une puissante image mentale à partir d’un nom fabuleux (que je ne savais encore ni lire ni orthographier). Je suis née dans un village de marins, beaucoup étaient à bord du Bretagne quand Churchill fit sauter la flotte dans la baie d’Oran pour qu’elle ne tombe pas aux mains des Allemands ; les hommes sont morts brûlés ou (et) noyés. J’ai grandi dans un village marqué par cette tragédie.
Et votre première lecture ?
Autant qu’il m’en souvienne, Trilby. « Moineau, petite libraire » ; m’y fut révélé mon goût des livres. « D’un palais rose à une mansarde » ; m’y fut révélé mon sens de la pitié.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Arvo Pärt, Alina, avant de me mettre au travail. Schubert, pour l’humanité. Chopin, pour la perfection. La musique country, pour la nostalgie. Mozart, pour la divine allégresse. Et j’écoute le silence, la rumeur de la ville.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Moby Dick ». J’ai lu trois traductions mais c’est celle d’Armel Guerne que je relis. Une lecture inépuisable. Je suis amoureuse de Melville, du capitaine Achab et de l’équipage du Péquod. Ce livre se rappelle à moi constamment et il est en filigrane dans mes propres livres. Je relis Nietzsche, dont j’ai les œuvres complètes à mon chevet ; j’ouvre n’importe quel volume à n’importe quelle page.
Quel film vous a fait pleurer ?
« La Strada ». « Dies irae ». « Les Hauts de Hurlevent ».
Quand vous vous regardez dans un miroir, que voyez-vous ?
Ma mère, de plus en plus. Et un visage qui vieillit, alors que je ne me sens pas vieille.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Personne. J’ai osé, selon mon bon plaisir. Je suis avant tout une épistolière. J’ai osé écrire à des « pointures » et c’est ainsi que j’ai été formée par de riches amitiés amoureuses. J’ai osé écrire à Maurice Blanchot, il m’avait répondu en me donnant son adresse personnelle. Ses lettres me demeurent très chères.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La côte nord du Finistère que j’ai associée, dans mon livre Les Silences de la guerre, au rivage de la Baltique peint par C.D. Friedrich. Le Havre, où j’ai vécu quatre ans : dans les rues battues par le vent, j’ai entendu gémir le fantôme d’une âme détruite par la guerre, âme qui n’en avait que plus de présence, – présence envoûtante. D’une manière générale, les zones portuaires, les jetées, le rivage.
Quels sont les écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je vous renvoie à la réponse donnée plus haut : les écrivains que j’aime relire. Lawrence (pour sa philosophie de la vie et de la sexualité), Nietzsche (le penseur panseur), Montherlant (pour la langue incisive, l’insolence et la radicalité), Katherine Mansfield (pour l’humanité, la simplicité), Louise Labé (pour la fraîcheur), Simone Weil (pour le sens du sacrifice), Colette (pour la santé mentale), Virginia Woolf (pour la nervosité et la sensitivité), Anaïs Nin (pour le goût de la vie). Il y en a d’autres, Tolstoï (pour l’immensité), Calaferte (pour la franchise), les poètes japonais et chinois (pour le goût du concret et la concision), plus rarement des romanciers : je privilégie le journal intime, la correspondance, les aphorismes.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Rien. Je fais en sorte que l’on ne me souhaite un « bon anniversaire ». (Mes enfants dérogent à l’interdiction.) Je ne le fête jamais. L’anniversaire renvoie au moment le plus intense de la maternité. « Mon » anniversaire concerne ma mère.
Que défendez-vous ?
Le sourire. La probité intellectuelle. L’absence de rancune. Je défends les contradictions dans la mesure où elles sont les cordes sur une lyre dont chacun doit tirer une musique. Je défends le style car il « accorde » la sensibilité et la pensée (et l’écriture, s’agissant d’un écrivain). Je défends le style qui est une allure, une manière personnelle de se conduire dans la vie.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « Aimer c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » ?
Lacan appréciait les discours oratoires. Dans l’amour, qu’importe ce qu’on a ou n’a pas. Aimer, c’est donner ce qu’on est. Aimer, c’est donner le meilleur de soi à quelqu’un qui réclame, consciemment ou non, le meilleur de ce que vous êtes. Aimer, par conséquent, oblige à être au mieux de soi tout le temps. Dur, dur.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
C’est une interprétation humoristique de l’amor fati de Nietzsche : le grand oui à ce qui forcément advient.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
« Êtes-vous heureuse ? » Vous avez oublié parce que vous vous en foutez, comme moi, bien que ce soit la question primordiale et celle que je suis tentée de poser à tout le monde, donc à vous.
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 23 octobre 2016.
Merci, le poseur de questions ! Hm. C’est une bien belle tâche que d’être un poseur de questions => un poseur de bombes d’attention ; autrement dit, un poseur de petites bombes d’amour. (Ça change.) Merci, l’artiste !