Quand le poème se mord la queue
Sangral poursuit ses tours de piste et de passe-temps (entendions infusions) avant que tout finisse « comme ça, comme une pauvre note griffonnée sur le non-sens… Mais bon, comme presque tous mes textes… Et mon désespoir a encore de beaux jours devant lui ». Cela permet au discours de se poursuivre dans un matérialisme en cendres et fortement pessimiste, dans la droite ligne d’un Artaud qui aurait perdu toute foi même dans l’invective.
Restent les efforts plus ou moins vains de la conscience vitale. Elle perd son ancrage premier dans un courant ou une danse folle et macabre où l’être finit par glisser dans un enivrement qui est aussi son parfait inverse. Le poète quitte ses repères identitaires (de nature ou sociaux) en vue d’une entreprise qui forcément ne va pas sans peine. Afin d’y parvenir, il dégonfle les baudruches du principe du monde et de la poésie. Celle-ci se délie de sa prétention et de celle du moi qui l’écrit.
Pessimiste comme Lucrèce, l’auteur ne cherche pas la délectation dans la mélancolie. L’ « extase » si l’on peut dire est autre : « L’on traîne avec soi un cadavre roulé dans / un tapis, notre passé ; mais le fleuve où le / jeter est si loin, tout au bout de notre/futur ». Exit les illusions du livre qui charrie la vie. L’ode joue par ses modulations et reprises d’un faire silence qui ne peut advenir.
Car le poète se nourrit de ce qui le vide de lui-même pour ses énoncés. Reste une nouvelle forme des « paroles gelées » chères à Rabelais. Sauf qu’ici et lorsque le temps tiédit, elles n’éclatent pas — ou trop peu. Est remisé tout effet d’extase. Exit l’idée que le poème peut sauver. Il est toujours bon de rappeler qu’il « absente » bien plus qu’il ne présente.
jean-paul gavard-perret
Stéphane Sangral, Circonvolutions — soixante-dix variations autour d’elles-mêmes, Editions Galilée, Paris, 2016, 160 p. — 15,00 €.