Marc Perelman est un spécialiste de l’architecture, du sport et de leurs rapports avec l’idéologie postmoderne. On se souvient de son Le Corbusier. Une froide vision du monde, de son Le Sport barbare, Critique d’un fléau mondial et de L’Ère des stades. Genèse et structure d’un espace historique. Smart Stadium prolonge ces livres. Le nouveau « cirque » devenu un des symboles grandioses d’une société mondialisée y est analysé du dehors et dedans.
Chaque cité avide de signes de reconnaissance ne regarde pas à la dépense pour réaliser des architectures qui sont souvent des réussites architecturales mais tout autant des aberrations. Face à leur gigantisme, il est nécessaire de prévoir autour d’elles des no man’s land immenses. Dès lors, la beauté intrinsèque de telles structures est rendue invisible par les espaces réservées aux voitures.
Ces monstres d’acier de béton et de verre, dans la mesure où ils se trouvent relégués loin des centres villes et ne peuvent être offerts comme objets premiers d’ostentation, se voient parfois négligés esthétiquement même s’il existe de belles exceptions : le “Stade des Alpes” de Grenoble ou le “Stade Olympique” de Los Angeles. Mais on est désormais loin de l’esprit urbain propre aux cirques et aux théâtres antiques.
Les nouveaux stades ont tendance par ailleurs à se reproduire sur un même schéma, à la croisée d’une technologie esthétisée et d’une esthétique high-tech. Mais c’est à l’intérieur des enceintes que les technologies numériques se sont déployées afin de faire du sport un spectacle total où le spectateur devient acteur du show auquel il assiste. Absorbé par les écrans portables ou fixes, petits ou géants, il est contraint à une visualisation ininterrompue non seulement de la compétition sportive mais de ce qu’elle génère comme production annexe dont la finale du Super Bowl est l’exemple le plus significatif.
Devant tenir compte de données extra-muros (retransmission de tels événements) ou intra-muros (« ambiancement » mais aussi vision de certains actes de jeux), existe tout un le processus de numérisation intégrale du stade. Celui-ci ressemble à une ville provisoire envahie d’objets et d’individus connectés. Certains d’entre eux doivent d’ailleurs prendre en compte des enjeux sécuritaires de plus en plus importants.
Dès lors, le sport de compétition, en devenant un spectacle mondialisé, transforme non seulement l’esprit du jeu mais celui des acteurs et des spectateurs en un système d’asservissement qu’avait déjà esquissé dans les années 70 le film Rollerball. Mais la réalité dépasse la fiction dans la réalisation du spectacle sportif du XXIème siècle. Le stade, plus qu’aire de jeu, est devenu un immense studio de télévision connecté. La pratique change donc de sens. Et ce, afin que ce nouveau divertissement réponde parfaitement à l’abrutissement organisé à selon la vieille formule recalibrée : « des cacahuètes, du Pepsi et des jeux »
jean-paul gavard-perret
Marc Perelman, Smart Stadium, L’échappée, 2016, 86 p. — 9,00 €.