Marie Maurel de Maillé, Raiponce

L’arbre de vie du vide : Marie Mau­rel de Maillé

La pho­to­gra­phie est, contrai­re­ment à ce qu’on pense, quelque chose qui nous échappe et où l’on se perd. C’est une image arra­chée à la vie, au passé, à sa dou­leur, à ses pay­sages, à ses « riens » qui sont tout. Mais la pho­to­gra­phie, dans sa fixa­tion, n’est pas la mort : c’est la ten­ta­tion de vie, c’est l’attraction ter­restre ; c’est peut-être un acte vide mais qui espère une forme de bon­heur face à la dou­leur, le mal­heur, le sacri­fice, le renon­ce­ment, la pri­va­tion.
Marie Mau­rel de Maillé veut à tra­vers elle conser­ver l’humain. Elle est tou­te­fois et autant la pho­to­graphe des « vides » que du renou­veau de la figu­ra­tion et du pay­sage. La pho­to­graphe sort du docu­ment pur et dur. Et si l’érotisme est là, c’est parce que ses jeunes femmes demeurent, en dépit de leur tris­tesse atti­rantes et que la den­telle des sta­tues est des plus par­lantes. La créa­trice ne les « uti­lise » ni comme repous­soir ni comme objet du désir. Elle ne les « psy­cho­lo­gise » pas non plus. Demeure certes une volonté d’esthétisation. Pour­quoi la refuser ?

L’artiste s’éloigne du natu­ra­lisme. Elle témoigne d’un uni­ver­sa­lisme d’autant plus fort qu’il s’ancre dans des réa­li­tés par­ti­cu­lières (Le Rou­ma­nie, la Nor­man­die, jadis) ou - dans ce livre — des lieux d’art où se réac­tive une mémoire (Casa Museo Picasso, Châ­teau de Pau, Musée du roman­tisme de Madrid).
La pho­to­graphe et son modèle ne sont ni vic­times ni bour­reaux. La recherche demeure celle d’un regard, d’un angle par­ti­cu­lier et plus juste. L’apparence peut plon­ger en des gouffres et des énigmes qui inter­pellent. Et le por­trait pho­to­gra­phique est tou­jours plus com­plexe qu’il n’y paraît. Il fait par­fois bou­ger les lignes de l’histoire de la repré­sen­ta­tion et celles de nos images men­tales. Plu­tôt que don­ner à voir la tris­tesse d’un visage sur­git son envers. Il reste l’indice d’un rap­pro­che­ment avec l’existence, plu­tôt avec sa psy­ché, tan­dis que la chose vue ren­voie au jeu des cultures.

Entre le « cris­tal et la fumée » (Henri Atlan), entre l’ordre et le désordre Marie Mau­rel de Maillé crée donc des pos­sibles et des connexions inat­ten­dues. Comme chez Boris Vian, « des can­cre­lats et des savates, des œufs durs à la tomate et des objets com­pro­met­tants » pour­raient y prendre place. La pho­to­graphe sau­rait y mettre bon ordre. Elle crée ses propres indices d’ « évi­dences » et des cas­sures en réac­tion pro­fonde aux dyna­miques du réel ou de la pein­ture aux­quelles elle pro­cure ses propres contre­coups.
D’où cette” “insa­tis­fac­tion” par la beauté. Sur­git des œuvres et de leur trouble une pers­pec­tive héri­tée autant de l’art athé­nien que des tra­cés japo­nais. Contre le « chao­mor­phisme », la créa­trice esquisse puis ras­semble un monde où l’énergie des traces demeure. Il n’est pas jusqu’aux « vides » pour créer des espaces limites conduc­teurs et for­ma­teurs d’un autre niveau de conscience par la ten­sion sen­so­rielle provoquée.

jean-paul gavard-perret

Marie Mau­rel de Maillé, Rai­ponce, Nonpareilles,4 ave­nue Gugnon, 94130 Nogent-sur-Marne, 2016, 48 p.

Being Beau­teous, Amaury da Cunha, Marie Mau­rel de Maillé, Nico­las Com­ment, Anne-Lise Broyer,
texte de Léa Bis­muth, Yan­nick Hae­nel, Etienne Hatt, Jean Deilhes, Hélène Gian­nec­chini,
Edi­tions Filigranes.

 

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