Beth Foley, Lady in the dark

Les déca­lages sidé­rants de Beth Foley

Beth Foley a grandi à Phi­la­del­phie et elle déve­loppe le goût pour les films et les livres sur les angoisses enfan­tines, fer­tiles pour elle en ima­gi­naire créa­teur. Dès ses vingt ans, elle décide de se foca­li­ser sur la pein­ture et le des­sin. Elle y par­achève son sens de l’humour et son attrait pour ce qui sus­cite la peur. Elle trouve en Will Bar­net son men­tor parce qu’il emploie une esthé­tique simi­laire à la sienne. Comme lui, elle appré­cie les peintres de la renais­sance fla­mande. Quit­tant sa ville natale, elle part pour San Fran­cisco puis New York et Nash­ville. L’artiste aime peindre des inté­rieurs sombres rehaus­sés de lumières bla­fardes où elle construit des scènes aussi quo­ti­diennes que sur­réa­listes, inquié­tantes, par­fois drôles : y sont cata­ly­sées bien des angoisses. Des meurtres ou des évé­ne­ments ter­ribles sont sur le point d’arriver.

Souvent, les femmes sont repré­sen­tées nues parce que l’artiste aime les peindre dans des situa­tions ana­chro­niques et impro­bables mais qui sont cen­sées se pas­ser à Nash­ville. Beth Foley peint ses décors à par­tir ce qui l’entoure. Pour ses nus, elle prend des modèles mais pour les per­son­nages habillés elle choi­sit des gens qu’elle connaît. Il existe tou­jours dans ses images des relents de contes pour enfants qui reposent sur la peur. Entre autres, les contes ger­ma­niques et l’histoire de ce pays. Ce qui l’effraie la fas­cine. Hans et Gre­tel ne sont pas sans lui rap­pe­ler les camps de la mort. Les contes et l’histoire des nazis deviennent le marais où germent ses images.
L’artiste tente de se libé­rer des ter­reurs par des images qui se veulent cathar­tiques. Elle a créé cer­taines œuvres en se ser­vant des mémoires des sur­vi­vants aux camps d’extermination même si la Shoah n’est qu’implicite dans ses pein­tures. Et elle ne cesse d’être han­tée par une ques­tion : au moment de la Shoah, Dieu était-il mort ou endormi ?

Dans Ber­li­ners ( 2011, huile et pas­tel), elle a fait le por­trait d’une famille juive por­tant l’Etoile jaune et regar­dant pas­si­ve­ment le spec­ta­teur. Cette toile a été conçue à par­tit d’une pho­to­gra­phie d’un sur­vi­vant de l’Holocauste dont la mère est un des per­son­nages du tableau. Mais chaque œuvre n’est jamais inté­gra­le­ment cen­trée sur le réel : l’aspect fable y est inté­gré en un mixage sidé­rant. Tous les détails sont pré­cis pour para­doxa­le­ment décol­ler l’image de tout aspect trop réa­liste. Et les femmes nues contri­buent à ce déca­lage. Entre rêve, réel, fan­tasme, hor­reur l’imaginaire crée une œuvre étrange dont n’est pas tou­jours per­çue la pro­fon­deur. L’aspect ludique y reste pour­tant trou­blant.
Pré­sences sen­suelles, hal­lu­ci­na­tions presque (le presque est impor­tant) pal­pables dans leurs tons de suie, ombres proches, gestes iso­lés donnent à l’existence une figure de nau­frage sous le calme latent.

jean-paul gavard-perret

Beth Foley, Lady in the dark, Ann Nathan Gal­lery, Chi­cago, 2016.

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